Les homélies du Pape François

CÉLÉBRATION DE LA MESSE POUR LA COMMÉMORATION DES FIDÈLES DÉFUNTS

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Cimetière militaire français de Rome

Mardi 2 novembre 2021

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Je me souviens d'une inscription sur la porte d'un petit cimetière du Nord : "Toi qui passes, pense à tes pas, et de tes pas pense au dernier pas".

Toi qui passes. La vie est un chemin, nous sommes tous en chemin. Tous, si nous voulons faire quelque chose dans la vie, nous devons cheminer. Ce n'est pas une promenade, ni un labyrinthe, non, c'est un chemin. En chemin, nous passons devant de nombreux événements historiques, de nombreuses situations difficiles. Et aussi devant les cimetières. La leçon de ce cimetière est la suivante : "Toi qui passes par-là, arrêtes tes pas et penses à ton dernier pas". Nous aurons tous un dernier pas à faire. Certains me diront peut-être : "Père, ne sois pas si funèbre, ne sois pas si tragique". Mais c'est la vérité. L'important est que ce dernier pas nous trouve cheminant, sans tourner en rond ; sur le chemin de la vie et non pas dans un labyrinthe sans fin. Être en chemin pour que le dernier pas nous trouve en train de marcher. C’est la première pensée que je voudrais dire et qui me vient du cœur.

La seconde pensée, ce sont ces tombes. Ces personnes - de bonnes personnes - sont mortes à la guerre, elles sont mortes parce qu'elles ont été appelées à défendre la patrie, à défendre des valeurs, à défendre des idéaux et, bien d’autres fois, à défendre des situations politiques tristes et lamentables. Et ce sont les victimes, les victimes de la guerre qui mange les enfants de la Patrie. Et je pense à Anzio, à Redipuglia ; je pense au Piave en 1914 - tant de personnes y sont restées ; je pense aux plages de Normandie : quarante mille dans ce débarquement ! Mais ça n'avait pas d'importance, ils tombaient...

Je me suis arrêté devant une tombe là-bas." Inconnu. Mort pour la France. 1944". Pas même le nom. Le nom de chacun d'entre nous se trouve dans le cœur de Dieu, mais c'est la tragédie de la guerre. Je suis sûr que tous ceux-ci, qui sont partis bien volontairement, appelés par leur Patrie pour la défendre, sont avec le Seigneur. Mais nous, qui sommes sur la route, combattons-nous suffisamment pour qu'il n'y ait pas de guerres ? Pour que les économies des pays ne soient pas fortifiées par l'industrie de l'armement ? Aujourd'hui, le sermon nous invite à regarder les tombes : " Mort pour la France " ; certaines ont des noms, d'autres, peu nombreuses, non. Mais ces tombes sont un message de paix : "Arrêtez-vous, frères et sœurs, arrêtez-vous ! Arrêtez-vous, fabricants d'armes, arrêtez-vous !".

Je vous laisse avec ces deux pensées. " Toi qui passes, pense à tes pas, au dernier pas " : que tu sois dans la paix, dans la paix du cœur, entièrement en paix. La deuxième pensée : ces tombes qui parlent, crient, crient d'elles-mêmes, elles crient : "Paix !".

Que le Seigneur nous aide à semer et à garder ces deux pensées dans nos cœurs.





JOURNÉE MONDIALE DES GRANDS-PARENTS ET DES PERSONNES ÂGÉES

MESSE

HOMELIE DU PAPE FRANÇOIS

Basilique de Saint-Pierre

Dimanche 25 juillet 2021

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[Homélie du Saint-Père, lue par Mgr Rino Fisichella]

Frères et sœurs, j’ai le plaisir et l’honneur de lire l’homélie que le Pape François a préparée pour cette circonstance.

Alors qu’il s’asseyait pour enseigner, Jésus « leva les yeux et vit qu’une foule nombreuse venait à lui. Il dit à Philippe : “Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ?” » (Jn 6, 5). Jésus ne se contente pas de donner des enseignements, mais il se laisse interroger par la faim qui habite la vie des gens. Et, ainsi, il nourrit la foule en distribuant cinq pains d’orge et deux poissons qu’il a reçus d’un jeune garçon. A la fin, comme il restait des morceaux de pain, il dit aux siens de les rassembler, « pour que rien ne se perde » (v. 12).

En cette Journée consacrée aux grands-parents et aux personnes âgées, je voudrais m’arrêter précisément sur ces trois moments : Jésus qui voit la faim de la foule ; Jésus qui partage le pain ; Jésus qui recommande de rassembler les morceaux qui sont restés. Trois moments qui peuvent être résumés en trois verbes : voir, partager, garder.

Le premier, voir. L’évangéliste Jean, au début du récit, souligne ce détail : Jésus lève les yeux et voit la foule affamée qui a beaucoup marché pour le rencontrer. C’est ainsi que commence le miracle, par le regard de Jésus qui n’est pas indifférent ou affairé, mais qui ressent les affres de la faim qui tenaille l’humanité épuisée. Il se préoccupe de nous, il a de la sollicitude pour nous, il veut assouvir notre faim de vie, d’amour et de bonheur. Dans les yeux de Jésus, nous voyons le regard de Dieu : c’est un regard attentif qui nous aperçoit, qui scrute les attentes que nous portons dans le cœur, qui voit la fatigue, l’épuisement et l’espoir avec lesquels nous allons de l’avant. Un regard qui sait saisir le besoin de chacun : aux yeux de Dieu il n’existe pas de foule anonyme, mais chaque personne avec sa faim. Jésus a un regard contemplatif, c’est-à-dire, capable de s’arrêter devant la vie de l’autre et de lire dedans.

C’est aussi le regard que les grands-parents et les personnes âgées ont eu sur notre vie. C’est la manière dont ils ont pris soin de nous depuis notre enfance. Après une vie faite de sacrifices, ils ne nous ont pas été indifférents ou occupés sans nous. Ils ont eu des yeux attentifs, remplis de tendresse. Lorsque nous grandissions et que nous nous sentions incompris, ou apeurés par les défis de la vie, ils se sont rendus compte de ce qui changeait dans notre cœur, de nos larmes cachées et des rêves que nous portions au-dedans de nous. Nous sommes tous passés par les genoux des grands-parents, qui nous ont tenus dans les bras. Et c’est aussi grâce à cet amour que nous sommes devenus adultes.

Et nous : quel regard avons-nous sur les grands-parents et les personnes âgées ? Quelle est la dernière fois où nous avons tenu compagnie ou téléphoné à une personne âgée pour lui exprimer notre proximité et nous laisser bénir par ses paroles ? Je souffre quand je vois une société qui court, affairée et indifférente, absorbée par trop de choses et incapable de s’arrêter pour porter un regard, une salutation, une caresse. J’ai peur d’une société dans laquelle nous sommes tous une foule anonyme et nous ne sommes plus capables de lever les yeux et de nous reconnaître. Les grands-parents, qui ont nourri notre vie, ont aujourd’hui faim de nous : de notre attention, de notre tendresse. De nous sentir proches. Levons les yeux vers eux, comme Jésus le fait avec nous.

Le deuxième verbe : partager. Après avoir vu la faim de ces personnes, Jésus veut les nourrir. Mais cela se fait grâce au don d’un jeune garçon, qui offre ses cinq pains et deux poissons. Il est beau qu’au centre de ce prodige, dont a bénéficié tant de personnes adultes – environs cinq mille personnes – il y ait un garçon, une jeune, qui partage ce qu’il a.

Aujourd’hui nous avons besoin d’une nouvelle alliance entre les jeunes et les personnes âgées, nous avons besoin de partager le trésor commun de la vie, de rêver ensemble, de surmonter les conflits entre les générations afin de préparer l’avenir de tous. Sans cette alliance de vie, de rêves et d’avenir, nous risquons de mourir de faim, parce que les liens brisés, les solitudes, les égoïsmes, les forces destructrices augmentent. Souvent dans nos sociétés, nous avons donné à la vie l’idée de “chacun pour soi”. Mais cela tue ! L’Evangile nous exhorte à partager ce que nous sommes et ce que nous avons : c’est seulement ainsi que nous pouvons être rassasiés. J’ai rappelé plusieurs fois ce que dit à ce propos le prophète Joël : (cf. Jl 3, 1) : jeunes et personnes âgées ensemble. Les jeunes, prophètes de l’avenir qui n’oublient pas l’histoire d’où ils viennent ; les personnes âgées, rêveurs jamais fatigués qui transmettent l’expérience aux jeunes, sans leur barrer la route. Jeunes et personnes âgées, le trésor de la tradition et la fraîcheur de l’Esprit. Jeunes et personnes âgées ensemble. Dans la société et dans l’Eglise : ensemble.

Le troisième verbe : garder. Après qu’ils eurent mangé, l’Evangile mentionne que de nombreux morceaux de pain sont restés. Et Jésus recommande : « Rassemblez les morceaux en surplus, pour que rien ne se perde » (Jn 6, 12). C’est ainsi qu’est le cœur de Dieu: non seulement il nous donne plus que ce dont nous avons besoin, mais il se soucie aussi que rien ne se perde, pas même un fragment. Un petit morceau de pain peut sembler peu de chose, mais aux yeux de Dieu rien ne doit être rejeté. A plus forte raison personne ne doit être rejeté. C’est une invitation prophétique que nous sommes appelés aujourd’hui à faire retentir en nous et dans le monde : rassemblez, conservez avec soin, gardez. Les grands-parents et les personnes âgées ne sont pas des restes de vie, des déchets à jeter. Ils sont ces précieux morceaux de pain qui sont restés sur la table de notre vie, qui peuvent encore nous nourrir d’une odeur agréable que nous avons perdue, “l’odeur agréable de la miséricorde et de la mémoire”. Ne perdons pas la mémoire dont sont porteuses les personnes âgées, car nous sommes fils de cette histoire et sans racines nous flétrirons. Elles nous ont protégés tout au long du chemin de la croissance, maintenant c’est à nous de protéger leur vie, d’alléger leurs difficultés, d’écouter leurs besoins, de créer les conditions pour qu’elles puissent être facilitées dans les tâches quotidiennes et ne se sentent pas seules. Demandons-nous : “Est-ce que j’ai rendu visite aux grands-parents ? Aux personnes âgées de ma famille ou de mon quartier ? Est-ce que je les ai écoutés ? Est-ce que je leur ai accordé un peu de temps ?”. Protégeons-les, afin que rien ne se perde : rien de leur vie et de leurs rêves. Il nous revient, aujourd’hui, de prévenir le regret de demain de ne pas avoir consacré assez d’attention à ceux qui nous ont aimés et nous ont donné la vie.

Frères et sœurs, les grands-parents et les personnes âgées sont le pain qui nourrit notre vie. Soyons reconnaissants pour leurs yeux attentifs, qui nous ont aperçus, pour leurs genoux qui nous ont tenus dans les bras, pour leurs mains qui nous ont accompagnés et soulevés, pour les jeux qu’ils ont faits avec nous et pour les caresses avec lesquelles ils nous ont consolés. S’il vous plaît, ne les oublions pas. Allions-nous à eux. Apprenons à nous arrêter, à les reconnaître, à les écouter. Ne les rejetons jamais. Gardons-les dans l’amour. Et apprenons à partager du temps avec eux. Nous en sortirons meilleurs. Et ensemble, jeunes et personnes âgées, nous nous rassasierons à la table du partage bénie par Dieu.





MOMENT EXTRAORDINAIRE DE PRIERE

EN TEMPS DE EPIDEMIE

PRESIDE PAR LE PAPE

FRANÇOIS

Parvis de la basilique Saint-Pierre

Vendredi 27 mars 2020

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« Le soir venu » (Mc 4, 35). Ainsi commence l’Evangile que nous avons écouté. Depuis des semaines, la nuit semble tomber. D’épaisses ténèbres couvrent nos places, nos routes et nos villes ; elles se sont emparées de nos vies en remplissant tout d’un silence assourdissant et d’un vide désolant, qui paralyse tout sur son passage : cela se sent dans l’air, cela se ressent dans les gestes, les regards le disent. Nous nous retrouvons apeurés et perdus. Comme les disciples de l’Evangile, nous avons été pris au dépourvu par une tempête inattendue et furieuse. Nous nous nous rendons compte que nous nous trouvons dans la même barque, tous fragiles et désorientés, mais en même temps tous importants et nécessaires, tous appelés à ramer ensemble, tous ayant besoin de nous réconforter mutuellement. Dans cette barque… nous nous trouvons tous. Comme ces disciples qui parlent d’une seule voix et dans l’angoisse disent : « Nous sommes perdus » (v. 38), nous aussi, nous nous nous apercevons que nous ne pouvons pas aller de l’avant chacun tout seul, mais seulement ensemble.

Il est facile de nous retrouver dans ce récit. Ce qui est difficile, c’est de comprendre le comportement de Jésus. Alors que les disciples sont naturellement inquiets et désespérés, il est à l’arrière, à l’endroit de la barque qui coulera en premier. Et que fait-il ? Malgré tout le bruit, il dort serein, confiant dans le Père – c’est la seule fois où, dans l’Evangile, nous voyons Jésus dormir –. Puis, quand il est réveillé, après avoir calmé le vent et les eaux, il s’adresse aux disciples sur un ton de reproche : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? » (v. 40).

Cherchons à comprendre. En quoi consiste le manque de foi de la part des disciples, qui s’oppose à la confiance de Jésus ? Ils n’avaient pas cessé de croire en lui. En effet, ils l’invoquent. Mais voyons comment ils l’invoquent : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » (v. 38). Cela ne te fait rien : ils pensent que Jésus se désintéresse d’eux, qu’il ne se soucie pas d’eux. Entre nous, dans nos familles, l’une des choses qui fait le plus mal, c’est quand nous nous entendons dire : "Tu ne te soucies pas de moi ?". C’est une phrase qui blesse et déclenche des tempêtes dans le cœur. Cela aura aussi touché Jésus, car lui, plus que personne, tient à nous. En effet, une fois invoqué, il sauve ses disciples découragés.

La tempête démasque notre vulnérabilité et révèle ces sécurités, fausses et superflues, avec lesquelles nous avons construit nos agendas, nos projets, nos habitudes et priorités. Elle nous démontre comment nous avons laissé endormi et abandonné ce qui alimente, soutient et donne force à notre vie ainsi qu’à notre communauté. La tempête révèle toutes les intentions d’"emballer" et d’oublier ce qui a nourri l’âme de nos peuples, toutes ces tentatives d’anesthésier avec des habitudes apparemment "salvatrices", incapables de faire appel à nos racines et d’évoquer la mémoire de nos anciens, en nous privant ainsi de l’immunité nécessaire pour affronter l’adversité.

À la faveur de la tempête, est tombé le maquillage des stéréotypes avec lequel nous cachions nos "ego" toujours préoccupés de leur image ; et reste manifeste, encore une fois, cette appartenance commune (bénie), à laquelle nous ne pouvons pas nous soustraire : le fait d’être frères.

« Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? ». Seigneur, ce soir, ta Parole nous touche et nous concerne tous. Dans notre monde, que tu aimes plus que nous, nous sommes allés de l’avant à toute vitesse, en nous sentant forts et capables dans tous les domaines. Avides de gains, nous nous sommes laissé absorber par les choses et étourdir par la hâte. Nous ne nous sommes pas arrêtés face à tes rappels, nous ne nous sommes pas réveillés face à des guerres et à des injustices planétaires, nous n’avons pas écouté le cri des pauvres et de notre planète gravement malade. Nous avons continué notre route, imperturbables, en pensant rester toujours sains dans un monde malade. Maintenant, alors que nous sommes dans une mer agitée, nous t’implorons : "Réveille-toi Seigneur !".

« Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? ». Seigneur, tu nous adresses un appel, un appel à la foi qui ne consiste pas tant à croire que tu existes, mais à aller vers toi et à se fier à toi. Durant ce Carême, ton appel urgent résonne : "Convertissez-vous", « Revenez à moi de tout votre cœur » (Jl 2, 12). Tu nous invites à saisir ce temps d’épreuve comme un temps de choix. Ce n’est pas le temps de ton jugement, mais celui de notre jugement : le temps de choisir ce qui importe et ce qui passe, de séparer ce qui est nécessaire de ce qui ne l’est pas. C’est le temps de réorienter la route de la vie vers toi, Seigneur, et vers les autres. Et nous pouvons voir de nombreux compagnons de voyage exemplaires qui, dans cette peur, ont réagi en donnant leur vie. C’est la force agissante de l’Esprit déversée et transformée en courageux et généreux dévouements. C’est la vie de l’Esprit capable de racheter, de valoriser et de montrer comment nos vies sont tissées et soutenues par des personnes ordinaires, souvent oubliées, qui ne font pas la une des journaux et des revues ni n’apparaissent dans les grands défilés du dernier show mais qui, sans aucun doute, sont en train d’écrire aujourd’hui les évènements décisifs de notre histoire : médecins, infirmiers et infirmières, employés de supermarchés, agents d’entretien, fournisseurs de soin à domicile, transporteurs, forces de l’ordre, volontaires, prêtres, religieuses et tant et tant d’autres qui ont compris que personne ne se sauve tout seul. Face à la souffrance, où se mesure le vrai développement de nos peuples, nous découvrons et nous expérimentons la prière sacerdotale de Jésus : « Que tous soient un » (Jn 17, 21). Que de personnes font preuve chaque jour de patience et insuffle l’espérance, en veillant à ne pas créer la panique mais la coresponsabilité ! Que de pères, de mères, de grands-pères et de grands-mères, que d’enseignants montrent à nos enfants, par des gestes simples et quotidiens, comment affronter et traverser une crise en réadaptant les habitudes, en levant les regards et en stimulant la prière ! Que de personnes prient, offrent et intercèdent pour le bien de tous. La prière et le service discret : ce sont nos armes gagnantes !

« Pourquoi avez-vous peur ? N’avez-vous pas encore la foi ? ». Le début de la foi, c’est de savoir qu’on a besoin de salut. Nous ne sommes pas autosuffisants ; seuls, nous faisons naufrage : nous avons besoin du Seigneur, comme les anciens navigateurs, des étoiles. Invitons Jésus dans les barques de nos vies. Confions-lui nos peurs, pour qu’il puisse les vaincre. Comme les disciples, nous ferons l’expérience qu’avec lui à bord, on ne fait pas naufrage. Car voici la force de Dieu : orienter vers le bien tout ce qui nous arrive, même les choses tristes. Il apporte la sérénité dans nos tempêtes, car avec Dieu la vie ne meurt jamais.

Le Seigneur nous interpelle et, au milieu de notre tempête, il nous invite à réveiller puis à activer la solidarité et l’espérance capables de donner stabilité, soutien et sens en ces heures où tout semble faire naufrage. Le Seigneur se réveille pour réveiller et raviver notre foi pascale. Nous avons une ancre : par sa croix, nous avons été sauvés. Nous avons un gouvernail : par sa croix, nous avons été rachetés. Nous avons une espérance : par sa croix, nous avons été rénovés et embrassés afin que rien ni personne ne nous sépare de son amour rédempteur. Dans l’isolement où nous souffrons du manque d’affections et de rencontres, en faisant l’expérience du manque de beaucoup de choses, écoutons une fois encore l’annonce qui nous sauve : il est ressuscité et vit à nos côtés. Le Seigneur nous exhorte de sa croix à retrouver la vie qui nous attend, à regarder vers ceux qui nous sollicitent, à renforcer, reconnaître et stimuler la grâce qui nous habite. N’éteignons pas la flamme qui faiblit (cf. Is 42, 3) qui ne s’altère jamais, et laissons-la rallumer l’espérance.

Embrasser la croix, c’est trouver le courage d’embrasser toutes les contrariétés du temps présent, en abandonnant un moment notre soif de toute puissance et de possession, pour faire place à la créativité que seul l’Esprit est capable de susciter. C’est trouver le courage d’ouvrir des espaces où tous peuvent se sentir appelés, et permettre de nouvelles formes d’hospitalité et de fraternité ainsi que de solidarité. Par sa croix, nous avons été sauvés pour accueillir l’espérance et permettre que ce soit elle qui renforce et soutienne toutes les mesures et toutes les pistes possibles qui puissent aider à nous préserver et à sauvegarder. Étreindre le Seigneur pour embrasser l’espérance, voilà la force de la foi, qui libère de la peur et donne de l’espérance.

« Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? » Chers frères et sœurs, de ce lieu, qui raconte la foi, solide comme le roc, de Pierre, je voudrais ce soir vous confier tous au Seigneur, par l’intercession de la Vierge, salut de son peuple, étoile de la mer dans la tempête. Que, de cette colonnade qui embrasse Rome et le monde, descende sur vous, comme une étreinte consolante, la bénédiction de Dieu. Seigneur, bénis le monde, donne la santé aux corps et le réconfort aux cœurs. Tu nous demandes de ne pas avoir peur. Mais notre foi est faible et nous sommes craintifs. Mais toi, Seigneur, ne nous laisse pas à la merci de la tempête. Redis encore : « N’ayez pas peur » (Mt 28, 5). Et nous, avec Pierre, "nous nous déchargeons sur toi de tous nos soucis, car tu prends soin de nous" (cf. 1P 5, 7).




MESSE EN LA SOLENNITÉ DU CORPS ET DU SANG DU CHRIST

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Basilique Saint-Pierre

Dimanche 14 juin 2020



« Souviens-toi de la longue marche que tu as faite ; le Seigneur ton Dieu te l’a imposée » (Dt 8, 2). Souviens-toi : avec cette invitation de Moïse s’est ouverte aujourd’hui la Parole de Dieu. Peu de temps après, Moïse réaffirmait : “n’oublie pas le Seigneur ton Dieu” (cf. v. 14). L’Ecriture nous a été donnée pour vaincre l’oubli de Dieu. Il est si important d’en faire mémoire quand nous prions ! comme l’enseigne un Psaume qui dit : « Je me souviens des exploits du Seigneur, je rappelle ta merveille de jadis » (76, 12). Aussi, les merveilles et les prodiges que le Seigneur a accomplis dans notre propre vie.

Il est essentiel de se souvenir du bien reçu : sans en faire mémoire, nous devenons étrangers à nous-mêmes, “passants” de l’existence ; sans mémoire nous nous déracinons du terrain qui nous nourrit et nous nous laissons emporter comme des feuilles par le vent. Faire mémoire au contraire est se renouer aux liens plus forts, c’est faire partie d’une histoire, c’est respirer avec un peuple. La mémoire n’est pas une chose privée, c’est la vie qui nous unit à Dieu et aux autres. Pour cela, dans la Bible, la mémoire du Seigneur sera transmise de génération en génération, sera racontée de père en fils, comme le dit ce beau passage : « Demain, quand ton fils te demandera : “ Quels sont donc ces édits, ces décrets et ces ordonnances que le Seigneur notre Dieu vous a prescrits ? ”, alors tu diras à ton fils : “Nous étions esclaves – toute l’histoire de l’esclavage - et sous nos yeux, le Seigneur a accompli des signes et des prodiges” » (Dt 6, 20-22). Tu transmettras la mémoire à ton fils.

Mais il y a un problème : si la chaîne de transmission des souvenirs s’interrompt ? Et puis, comment peut-on se souvenir de ce qu’on a seulement entendu dire, sans en avoir fait l’expérience ? Dieu sait combien elle est difficile, combien elle est fragile notre mémoire, et pour nous il a accompli une chose inouïe : il nous laissé un mémorial. Il ne nous a pas laissé seulement des paroles, parce qu’il est facile d’oublier ce qu’on lit. Il ne nous a pas laissé seulement des signes, parce qu’on peut aussi oublier ce qu’on voit. Il nous a donné une Nourriture, et il est difficile d’oublier une saveur. Il nous a laissé un Pain dans lequel Il est là, vivant et vrai, avec toute la saveur de son amour. En le recevant nous pouvons dire : “C’est le Seigneur, il se souvient de moi !”. C’est pourquoi Jésus nous a demandé : « Faites cela en mémoire de moi » (1 Co 11, 24). Faites : l’Eucharistie n’est pas un simple souvenir, c’est un fait : c’est la Pâques du Seigneur qui revit pour nous. Dans la Messe, la mort et la résurrection de Jésus sont devant nous. Faites cela en mémoire de moi : réunissez-vous et comme communauté, comme peuple, comme famille, célébrez l’Eucharistie pour vous rappeler de moi. Nous ne pouvons pas nous en passer, c’est le mémorial de Dieu. Et il guérit notre mémoire blessée.

Il guérit avant tout notre mémoire orpheline. Nous vivons dans une époque de tant de cas d’orphelins. Il guérit la mémoire orpheline. Beaucoup ont la mémoire marquée par le manque d’affection et par les déceptions brûlantes, reçues de celui qui aurait dû donner de l’amour et qui au contraire a rendu le cœur orphelin. Ou voudrait retourner en arrière et changer le passé, mais on ne peut pas. Mais Dieu peut guérir ces blessures, en mettant dans notre mémoire un amour plus grand : le sien. L’Eucharistie nous apporte l’amour fidèle du Père, qui guérit notre état d’orphelins. Elle nous donne l’amour de Jésus, qui a transformé un sépulcre de point d’arrivée en point de départ et de la même manière elle peut bouleverser nos vies. Elle nous remplit de l’amour de l’Esprit Saint, qui console, parce qu’il ne nous laisse jamais seuls, et soigne les blessures.

Avec l’Eucharistie le Seigneur guérit aussi notre mémoire négative, cette négativité qui vient si souvent dans notre cœur. Le Seigneur guérit cette mémoire négative, qui fait toujours ressortir les choses qui ne vont pas et laisse dans notre tête la triste idée que nous ne sommes bons à rien, que nous ne faisons que des erreurs, que nous sommes “mauvais”. Jésus vient nous dire que ce n’est pas le cas. Il est content de se faire intime à nous et, chaque fois que nous le recevons, il nous rappelle que nous sommes précieux : nous sommes des invités attendus à son banquet, les convives qu’il désire. Et pas seulement parce qu’il est généreux, mais parce qu’il est vraiment amoureux de nous : il voit et aime le beau et le bon que nous sommes. Le Seigneur sait que le mal et les péchés ne sont pas notre identité ; ce sont des maladies, des infections. Et il vient pour les soigner avec l’Eucharistie, qui contient les anticorps pour notre mémoire malade de négativité. Avec Jésus nous pouvons nous immuniser contre la tristesse. Nous aurons toujours devant nos yeux nos chutes, nos fatigues, les problèmes à la maison et au travail, les rêves non réalisés. Mais leur poids ne nous écrasera pas parce que, plus en profondeur, il y a Jésus qui nous encourage avec son amour. Voici la force de l’Eucharistie, qui nous transforme en porteurs de Dieu : porteurs de joie et non de négativité. Nous pouvons nous demander, nous qui allons à la Messe, qu’apportons-nous au monde ? Nous faisons la Communion et ensuite nous continuons à nous plaindre, à critiquer et à pleurer ? Mais cela n’améliore rien, tandis que la joie du Seigneur change la vie.

Enfin, l’Eucharistie guérit notre mémoire fermée. Les blessures que nous gardons à l’intérieur ne créent pas des problèmes seulement à nous, mais aussi aux autres. Elles nous rendent peureux et suspicieux : au début fermés, à la longue cyniques et indifférents. Elles nous amènent à réagir envers les autres avec détachement et arrogance, en nous leurrant que de cette manière nous pouvons contrôler les situations. Mais c’est un mensonge : seul l’amour guérit à la racine la peur et libère des fermetures qui emprisonnent. Jésus fait ainsi, en venant à notre rencontre avec douceur, dans la fragilité désarmante de l’Hostie ; Jésus fait ainsi, Pain rompu pour briser les coques de nos égoïsmes ; Jésus fait ainsi, lui qui se donne pour nous dire que c’est seulement en nous ouvrant que nous nous libérons des blocages intérieurs, des paralysies du cœur. Le Seigneur, en s’offrant à nous tout simplement comme le pain, nous invite aussi à ne pas gaspiller la vie en suivant mille choses inutiles qui créent des dépendances et laissent un vide à l’intérieur. L’Eucharistie éteint en nous la faim des choses et allume le désir de servir. Elle nous relève de notre confortable sédentarité, elle nous rappelle que nous ne sommes pas seulement des bouches à nourrir, mais aussi ses mains pour nourrir le prochain. Il est urgent maintenant de prendre soin de celui qui a faim de nourriture et de dignité, de celui qui ne travaille pas et peine à aller de l’avant. Et le faire d’une manière concrète, comme concret est le Pain que Jésus nous donne. Il faut une proximité réelle, il faut de vraies chaînes de solidarité. Jésus dans l’Eucharistie se fait proche de nous : ne laissons pas seul celui qui nous est proche !

Chers frères et sœurs, continuons à célébrer le Mémorial qui guérit notre mémoire – rappelons-nous : guérir la mémoire, la mémoire est la mémoire du cœur -, ce mémorial est : la Messe. Elle est le trésor à mettre à la première place dans l’Eglise et dans la vie. Et au même moment redécouvrons l’adoration, qui poursuit en nous l’œuvre de la Messe. Cela nous fait du bien, nous guérit à l’intérieur. Surtout maintenant, nous en avons vraiment besoin.




PAPE FRANÇOIS

MÉDITATION MATINALE EN LA CHAPELLE DE LA

MAISON SAINTE-MARTHE

Le courage de la prière

Pour prier vraiment, le chrétien a besoin de «courage» car, fort de sa propre foi, il doit aller jusqu’à défier le Seigneur, en trouvant toujours la manière de surmonter, sans douter, les «difficultés» inévitables. C’est une véritable analyse du style de prière de chacun que le Pape François a suggérée. Son homélie s’est inspirée de l’attitude du lépreux et du paralytique qui demandent à Jésus d’être guéris, comme le raconte l’Evangile de Marc.

«La liturgie d’aujourd’hui fait entendre ce passage de l’Evangile qui est une guérison: Jésus guérit» (2, 1-12); dans ce passage on raconte précisément la guérison du paralytique. «Cela nous fait penser à la forme que prend la prière pour demander quelque chose au Seigneur dans l’Evangile, comment prient ces personnes qui ont réussi à avoir ce qu’elles demandent». Dans le passage proposé le jeudi 11 dans la liturgie «cela a été très simple: un lépreux vint auprès de Jésus, le regarda et lui dit: “si tu veux, tu peux me purifier”», «si tu veux, tu peux; si tu ne me guéris pas, c’est parce que tu ne veux pas». Il dit «les choses clairement, mais il avait la foi et la vraie prière naît de cette foi».

«Mais il y avait un autre homme qui demanda à Jésus de guérir son fils possédé par le démon. Devant cet homme qui doutait, Jésus réplique que «tout est possible à celui qui croit». Il faut «toujours la foi au début. On doit partir de la foi et le faire dans la foi: j’ai la foi dans le fait que tu peux me guérir». Il faut donc «la prière dans la foi». Et à ce propos, le Pape a invité à se demander: «Comment est-ce que je prie? Quand j’ai besoin de quelque chose, comment est-ce que je la demande? Je la demande à partir de ma foi, ou est-ce que je la demande un peu comme un perroquet?».

En effet, «la prière, si je demande quelque chose, part de la foi; et si je n’ai pas beaucoup de foi», on peut «dire: “Je crois, Seigneur, mais aide mon peu de foi”». C’est pourquoi nous devons «commencer la prière ainsi et, avec cette foi, défier le Seigneur». «Dans l’Evangile, il y a beaucoup de personnes ainsi. «Pensons à cette petite vieille qui depuis dix-huit ans, souffrait d’hémorragies: Jésus était loin et il y avait une grande foule, mais elle dit: “Si je réussis à toucher un pan de son manteau, je serai sauve”». C’est «une foi forte, elle s’est faufilée parmi les gens: elle avance, elle avance, et elle touche». Et «Jésus s’en est aperçu et elle a guéri». Voilà, il faut du «courage pour arriver au Seigneur, du courage pour avoir foi au début: “Si tu veux, tu peux me guérir, si tu veux, je crois”». Et aussi du «courage pour m’approcher du Seigneur, quand il y a des difficultés». Il faut précisément «ce courage: très souvent, il faut de la patience et savoir attendre le moment, mais ne pas renoncer, aller toujours de l’avant».

Sur cette ligne, il y aussi «beaucoup de saints: pensons à sainte Monique qui a prié, qui a tant pleuré pour la conversion de son fils Augustin» et qui «a réussi à l’obtenir». «Dans la prière, on joue gros et s’il y a des difficultés, on surmonte ces difficultés». «La prière chrétienne naît de la foi en Jésus et va toujours avec la foi au-delà des difficultés». «Le Seigneur nous a dit: “Demandez et il vous sera donné”».

JOURNÉE MONDIALE DES PAUVRES

MESSE

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Nous avons la joie de rompre le pain de la Parole, et d’ici peu de rompre et de recevoir le Pain eucharistique, nourritures pour le chemin de la vie. Nous en avons tous besoin, personne n’est exclu, parce que nous sommes tous des mendiants de l’essentiel, de l’amour de Dieu, qui nous donne le sens de la vie et une vie sans fin. Donc aujourd’hui aussi tendons la main vers Lui pour recevoir ses dons.

La parabole de l’Evangile parle justement de dons. Elle nous dit que nous sommes destinataires des talents de Dieu, « à chacun selon ses capacités » (Mt 25, 15). Avant tout reconnaissons ceci : nous avons des talents, nous sommes « talentueux » aux yeux de Dieu. Par conséquent personne ne peut penser être inutile, personne ne peut se dire si pauvre au point de ne pas pouvoir donner quelque chose aux autres. Nous sommes choisis et bénis par Dieu, qui désire nous combler de ses dons, plus qu’un papa et une maman désirent donner à leurs enfants. Et Dieu, aux yeux de qui aucun enfant ne peut être écarté, confie à chacun une mission.

En effet, comme un Père aimant et exigeant qu’il est, il nous responsabilise. Nous voyons que, dans la parabole, des talents à multiplier sont donnés à chaque serviteur. Mais, tandis que les deux premiers réalisent la mission, le troisième serviteur ne fait pas fructifier les talents ; il restitue seulement ce qu’il avait reçu : « J’ai eu peur – dit-il - et je suis allé cacher ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient » (v. 25). Ce serviteur reçoit en échange des paroles dures : « mauvais et paresseux » (v. 26). Qu’est-ce qui en lui n’a pas plu au Seigneur ? En un mot, peut-être tombé un peu en désuétude mais très actuel, je dirais : l’omission. Son mal a été de ne pas faire le bien. Nous aussi souvent nous sommes dans l’idée de n’avoir rien fait de mal et pour cela nous nous contentons, présumant être bons et justes. Ainsi, cependant, nous risquons de nous comporter comme le serviteur mauvais : lui aussi n’a rien fait de mal, il n’a pas abimé le talent, au contraire, il l’a bien conservé sous la terre. Mais ne rien faire de mal ne suffit pas. Parce que Dieu n’est pas un contrôleur à la recherche de billets non compostés, il est un Père à la recherche d’enfants à qui confier ses biens et ses projets (cf. v. 14). Et c’est triste quand le Père de l’amour ne reçoit pas une réponse généreuse d’amour de ses enfants qui se limitent à respecter les règles, à s’acquitter des commandements, comme des salariés dans la maison du Père (cf. Lc 15, 17).

Le serviteur mauvais, malgré le talent reçu du Seigneur, qui aime partager et multiplier ses dons, l’a jalousement conservé, il s’est contenté de le préserver. Mais celui qui se préoccupe seulement de conserver, de garder les trésors du passé n’est pas fidèle à Dieu. Au contraire, dit la parabole, celui qui ajoute des talents nouveaux est vraiment « fidèle » (v.v. 21.23), parce qu’il a la même mentalité que Dieu et ne reste pas immobile : il risque par amour, il met en jeu sa vie pour les autres, il n’accepte pas de tout laisser comme c’est. Il omet seulement une chose : ce qui lui est utile à lui. Voilà l’unique omission juste.

L’omission est aussi le grand péché par rapport aux pauvres. Ici, elle prend un nom précis : indifférence. C’est dire : “ Cela ne me regarde pas, ce n’est pas mon affaire, c’est la faute de la société”. C’est se tourner de l’autre côté quand le frère est dans le besoin, c’est changer de chaîne dès qu’une question sérieuse nous gêne, c’est aussi s’indigner devant le mal sans rien faire. Dieu, cependant ne nous demandera pas si nous avons eu une juste indignation, mais si nous avons fait du bien.

Comment, concrètement, pouvons-nous alors plaire à Dieu ? Quand on veut faire plaisir à une personne chère, par exemple en lui faisant un cadeau, il faut d’abord connaître ses goûts, pour éviter que le cadeau soit plus agréable à celui qui le fait qu’à celui qui le reçoit. Quand nous voulons offrir quelque chose au Seigneur, nous trouvons ses goûts dans l’Evangile. Tout de suite après le passage que nous avons écouté aujourd’hui, il dit : « Chaque fois que vous l’avez fait à un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40). Ces frères plus petits, préférés par Lui, sont l’affamé et le malade, l’étranger et le prisonnier, le pauvre et l’abandonné, celui qui souffre sans aide et celui qui est dans le besoin et exclu. Sur leur visage nous pouvons imaginer imprimé son visage ; sur leurs lèvres, même si elles sont fermées par la douleur, ses paroles : « Ceci est mon corps » (Mt 26, 26). Dans le pauvre, Jésus frappe à la porte de notre cœur et, assoiffé, nous demande de l’amour. Lorsque nous vainquons l’indifférence et qu’au nom de Jésus nous nous dépensons pour ses frères plus petits, nous sommes ses amis bons et fidèles, avec lesquels il aime s’entretenir. Dieu l’apprécie beaucoup, il apprécie l’attitude que nous avons entendue dans la première Lecture, celle de la « femme parfaite » dont « les doigts s’ouvrent en faveur du pauvre », qui « tend la main au malheureux » (Pr 31, 10.20). Voilà la véritable force : non des poings fermés et des bras croisés, mais des mains actives et tendues vers les pauvres, vers la chair blessée du Seigneur.

Là dans les pauvres, se manifeste la présence de Jésus, qui de riche s’est fait pauvre (cf. 2 Co 8, 9). Pour cela, en eux, dans leur faiblesse, il y a une “force salvatrice”. Et si aux yeux du monde, ils ont peu de valeur, ce sont eux qui nous ouvrent le chemin du ciel, ils sont nos “passeports pour le paradis”. Pour nous c’est un devoir évangélique de prendre soin d’eux, qui sont notre véritable richesse, et de le faire non seulement en donnant du pain, mais aussi en rompant avec eux le pain de la Parole, dont ils sont les destinataires les plus naturels. Aimer le pauvre signifie lutter contre toutes les pauvretés, spirituelles et matérielles.

Et cela nous fera du bien : s’approcher de celui qui est plus pauvre que nous touchera notre vie. Cela nous rappellera ce qui compte vraiment : aimer Dieu et le prochain. Cela seulement dure toujours, tout le reste passe ; donc ce que nous investissons dans l’amour demeure, le reste s’évanouit. Aujourd’hui, nous pouvons nous demander : “Qu’est-ce qui compte pour moi dans la vie, où est-ce que je m’engage ?” Dans la richesse qui passe, dont le monde n’est jamais rassasié, ou dans la richesse de Dieu, qui donne la vie éternelle ? Ce choix est devant nous : vivre pour avoir sur terre ou donner pour gagner le ciel. Parce que pour le ciel, ne vaut pas ce que l’on a, mais ce que l’on donne, et celui qui amasse des trésors pour lui-même ne s’enrichit pas auprès de Dieu (cf. Lc 12, 21). Alors ne cherchons pas le superflu pour nous, mais le bien pour les autres, et rien de précieux ne nous manquera. Que le Seigneur, qui a compassion pour nos pauvretés et nous revêt de ses talents, nous donne la sagesse de chercher ce qui compte et le courage d’aimer, non en paroles mais avec des faits.

MESSAGE DU PAPE FRANÇOIS

POUR LA XXVe JOURNÉE MONDIALE DU MALADE 2017

Émerveillement pour tout ce que Dieu accomplit :

« Le Puissant fit pour moi de grandes choses … » (Lc 1,49)

Chers frères et sœurs,

Le 11 février prochain sera célébrée, dans toute l’Église et de façon particulière à Lourdes, la XXVème Journée mondiale du malade, sur le thème : Émerveillement pour tout ce que Dieu accomplit : « Le Puissant fit pour moi de grandes choses … » (Lc 1,49).Instituée par mon prédécesseur saint Jean-Paul II en 1992, et célébrée pour la première fois justement à Lourdes le 11 février 1993, cette Journée constitue une occasion d’attention spéciale à la condition des malades et, plus généralement, de ceux qui souffrent ; et en même temps elle invite qui se prodigue en leur faveur, à commencer par les proches, les personnels de santé et les volontaires, à rendre grâce pour la vocation reçue du Seigneur d’accompagner les frères malades. En outre, cette occasion renouvelle dans l’Église la vigueur spirituelle pour développer toujours mieux cette part fondamentale de sa mission qui comprend le service envers les derniers, les infirmes, les souffrants, les exclus et les marginaux (cf. Jean-Paul II Motu proprio Dolentium hominum, 11 février 1985, n. 1). Les moments de prière, les Liturgies eucharistiques et l’Onction des malades, le partage avec les malades et les approfondissements bioéthiques et théologico-pastoraux qui auront lieu à Lourdes en ces jours offriront certainement une nouvelle et importante contribution à ce service.

Me plaçant dès à présent spirituellement près de la Grotte de Massabielle, devant l’effigie de la Vierge Immaculée, en qui le Tout-Puissant a fait de grandes choses pour la rédemption de l’humanité, je désire exprimer ma proximité à vous tous, frères et sœurs qui vivez l’expérience de la souffrance, et à vos familles ; comme aussi mon appréciation à tous ceux qui, dans leurs différents rôles et dans toutes les structures sanitaires répandues dans le monde, agissent avec compétence, responsabilité et dévouement pour votre soulagement, votre traitement et votre bien-être quotidien. Je désire vous encourager tous, malades, personnes qui souffrent, médecins, infirmières, proches, volontaires, à contempler en Marie, Salut des malades, la garante de la tendresse de Dieu pour chaque être humain et le modèle de l’abandon à sa volonté ; et à trouver toujours dans la foi, nourrie par la Parole et par les Sacrements, la force d’aimer Dieu et les frères aussi dans l’expérience de la maladie.

Comme sainte Bernadette, nous sommes sous le regard de Marie. L’humble jeune fille de Lourdes raconte que la Vierge, qu’elle a appelée “la Belle Dame”, la regardait comme on regarde une personne. Ces simples paroles décrivent la plénitude d’une relation. Bernadette, pauvre, analphabète et malade, se sent regardée par Marie comme une personne. La Belle Dame lui parle avec grand respect, sans prendre un air supérieur. Cela nous rappelle que chaque malade est et reste toujours un être humain, et doit être traité comme tel. Les infirmes, comme les porteurs de handicaps même très lourds, ont leur inaliénable dignité et leur mission dans la vie, et ne deviennent jamais de simples objets, même si parfois ils peuvent sembler seulement passifs, mais en réalité, ce n’est jamais ainsi.

Bernadette, après être allée à la Grotte, grâce à la prière transforme sa fragilité en soutien pour les autres, grâce à l’amour devient capable d’enrichir son prochain, et surtout, elle offre sa vie pour le salut de l’humanité. Le fait que la Belle Dame lui demande de prier pour les pécheurs nous rappelle que les infirmes, les personnes qui souffrent, ne portent pas seulement en eux le désir de guérir mais aussi celui de vivre chrétiennement leur vie, en arrivant à la donner comme d’authentiques disciples missionnaires du Christ. Marie donne à Bernadette la vocation de servir les malades et l’appelle à être Sœur de la Charité, une mission qu’elle exprime dans une mesure si haute qu’elle devient un modèle auquel chaque agent de santé peut se référer. Demandons donc à l’Immaculée Conception la grâce de savoir nous mettre toujours en relation avec le malade comme avec une personne qui, certainement, a besoin d’aide, parfois aussi pour les choses les plus élémentaires, mais qui porte en elle un don personnel à partager avec les autres.

Le regard de Marie, Consolatrice des affligés, illumine le visage de l’Église dans son engagement quotidien pour les personnes dans le besoin et celles qui souffrent. Les fruits précieux de cette sollicitude de l’Église pour le monde de la souffrance et de la maladie sont un motif de remerciement au Seigneur Jésus, qui s’est fait solidaire avec nous, en obéissance à la volonté du Père et jusqu’à la mort de la croix, afin que l’humanité soit rachetée. La solidarité du Christ, Fils de Dieu né de Marie, est l’expression de la toute-puissance miséricordieuse de Dieu qui se manifeste dans notre vie – surtout quand elle est fragile, blessée, humiliée, marginalisée, souffrante – infusant en elle la force de l’espérance qui nous fait nous relever et nous soutient.

Tant de richesse d’humanité et de foi ne doit pas être perdue, mais plutôt nous aider à nous confronter à nos faiblesses humaines et, en même temps, aux défis présents dans le monde de la santé et de la technologie. À l’occasion de la Journée Mondiale du Malade nous pouvons trouver un nouvel élan pour contribuer à la diffusion d’une culture respectueuse de la vie, de la santé et de l’environnement ; une impulsion nouvelle à lutter pour le respect de l’intégralité et de la dignité des personnes, également à travers une approche juste des questions bioéthiques, de la protection des plus faibles et de la sauvegarde de l’environnement.

À l’occasion de la XXVème Journée mondiale du Malade, je renouvelle ma proximité dans la prière et mon encouragement aux médecins, aux infirmiers, aux volontaires et à toutes les personnes consacrées engagées au service des malades et des indigents ; aux institutions ecclésiales et civiles qui œuvrent dans ce domaine ; et aux familles qui prennent soin avec amour de leurs proches malades. À tous, je souhaite d’être toujours des signes joyeux de la présence et de l’amour de Dieu, en imitant le témoignage lumineux de tant d’amis de Dieu parmi lesquels je rappelle saint Jean de Dieu et saint Camille de Lellis, patrons des hôpitaux et du personnel de santé, et sainte Mère Teresa de Calcutta, missionnaire de la tendresse de Dieu.

Frères et sœurs, tous, malades, personnels de santé et volontaires, élevons ensemble notre prière à Marie, afin que sa maternelle intercession soutienne et accompagne notre foi et nous obtienne du Christ son Fils l’espérance sur le chemin de la guérison et de la santé, le sens de la fraternité et de la responsabilité, l’engagement pour le développement humain intégral et la joie de la gratitude chaque fois qu’elle nous émerveille par sa fidélité et sa miséricorde.

O Marie, notre Mère,

qui, dans le Christ, accueille chacun de nous comme un enfant,

soutiens l’attente confiante de notre cœur,

secours-nous dans nos infirmités et nos souffrances,

guide-nous vers le Christ ton fils et notre frère,

et aide-nous à nous confier au Père qui accomplit de grandes choses.

Je vous assure tous de mon souvenir constant dans la prière et je vous adresse de grand cœur la Bénédiction apostolique.

Le 8 décembre 2016, Fête de l’Immaculée Conception.

François

PAPE FRANÇOIS

MÉDITATION MATINALE EN LA CHAPELLE DE LA

MAISON SAINTE-MARTHE


Histoire d’une fidélité ratée

Se reconnaître pécheurs et être capables de demander pardon est le premier pas pour répondre avec clarté, sans tergiverser, à la question directe que Jésus adresse à chacun de nous : « Es-tu avec moi ou contre moi ? ». C’est une invitation à s’ouvrir de manière inconditionnée à la miséricorde de Dieu qui a été relancée par le Pape. Au début de la première lecture, le prophète Jérémie (7, 23-28) « nous rappelle le pacte de Dieu avec son peuple : “Écoutez ma voix, alors je serai votre Dieu et vous serez mon peuple. Suivez en tout la voie que je vous prescris pour votre bonheur” ». C’est « un pacte de fidélité ». Et « les deux lectures nous racontent une autre histoire : ce pacte a été rompu et aujourd’hui, l’Église nous fait réfléchir sur l’histoire, nous pouvons l’appeler ainsi, d’une fidélité ratée ». En réalité, « Dieu reste toujours fidèle, parce qu’il ne peut pas se renier lui-même », en revanche le peuple égrène les infidélités « l’une après l’autre : il est infidèle, il est resté infidèle ! ». L’« infidélité du peuple de Dieu », comme notre infidélité, « endurcit le cœur : ferme le cœur ! » ; et « elle ne laisse pas entrer la voix du Seigneur qui, comme un père plein d’amour, nous demande toujours de nous ouvrir à sa miséricorde et à son amour ». Mais « quand le cœur est dur, il ne comprend pas cela ». En effet, « la miséricorde de Dieu ne se comprend que si tu es capable d’ouvrir ton cœur, afin qu’il puisse entrer ». Et « cela va de l’avant, va de l’avant : le cœur s’endurcit et nous voyons la même histoire » dans l’Évangile de Luc (11, 14-23) proposé aujourd’hui par la liturgie. « Il y avait ces personnes qui avaient étudié les Ecritures, les docteurs de la loi qui connaissaient la théologie, mais ils étaient très, très fermés. La foule était étonnée : l’étonnement ! Car la foule suivait Jésus. Certains diront : “Mais elle le suivait pour être guérie, elle le suivait pour cela” ». La réalité était que les gens « avaient foi en Jésus ! Ils avaient leur cœur ouvert : ils étaient imparfaits, pécheurs, mais leur cœur était ouvert ». En revanche, « ces théologiens avaient une attitude fermée ». Et « ils cherchaient toujours une explication pour ne pas comprendre le message de Jésus ». « Telle est l’histoire, l’histoire de cette fidélité ratée, l’histoire des cœurs fermés, des cœurs qui ne laissent pas entrer la miséricorde de Dieu, qui ont oublié le mot “pardon” — “Pardonne-moi Seigneur !” — simplement parce qu’ils ne se sentent pas pécheurs : ils se sentent les juges des autres ». Et c’est « une longue histoire qui dure depuis des siècles ». « Cette fidélité ratée est expliquée par Jésus avec deux mots clairs, pour conclure le discours à propos de ces hypocrites : “Qui n’est pas avec moi est contre moi” ». Le langage de Jésus est « clair : ou tu es fidèle, avec le cœur ouvert, au Dieu qui est fidèle avec toi ou tu es contre Lui : “Qui n’est pas avec moi est contre moi !” ». Mais en effet, « il existe une issue : confesse-toi, pécheur ! ». Car « si tu dis “je suis pécheur”, ton cœur s’ouvre et la miséricorde de Dieu entre et tu commences à être fidèle ». Avant de poursuivre la célébration, le Pape a invité à demander « au Seigneur la grâce de la fidélité ».

VEILLÉE PASCALE EN LA NUIT SAINTE

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Basilique vaticane


« Pierre courut au tombeau » (Lc 24, 12). Quelles pensées pouvaient donc agiter l’esprit et le cœur de Pierre pendant cette course ? L’Évangile nous dit que les Onze, parmi lesquels Pierre, n’avaient pas cru au témoignage des femmes, à leur annonce pascale. Plus encore, « ces propos leur semblèrent délirants » (v. 11). Il y avait donc le doute dans le cœur de Pierre, accompagné de nombreuses pensées négatives : la tristesse pour la mort du Maître aimé, et la déception de l’avoir trahi trois fois pendant la Passion.

Mais il y a un détail qui marque un tournant : Pierre, après avoir écouté les femmes et ne pas les avoir cru, cependant « se leva » (v. 12). Il n’est pas resté assis à réfléchir, il n’est pas resté enfermé à la maison comme les autres. Il ne s’est pas laissé prendre par l’atmosphère morose de ces journées, ni emporter par ses doutes ; il ne s’est pas laissé accaparer par les remords, par la peur ni par les bavardages permanents qui ne mènent à rien. Il a cherché Jésus, pas lui-même. Il a préféré la voie de la rencontre et de la confiance et, tel qu’il était, il s’est levé et a couru au tombeau, d’où il revint « tout étonné » (v. 12 ). Cela a été le début de la « résurrection » de Pierre, la résurrection de son cœur. Sans céder à la tristesse ni à l’obscurité, il a laissé place à la voix de l’espérance : il a permis que la lumière de Dieu entre dans son cœur, sans l’éteindre.

Les femmes aussi, qui étaient sorties tôt le matin pour accomplir une œuvre de miséricorde, pour porter les aromates à la tombe, avaient vécu la même expérience. Elles étaient « saisies de crainte et gardaient le visage incliné vers le sol », mais elles ont été troublées en entendant les paroles de l’ange : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? » (v. 5).

Nous aussi, comme Pierre et les femmes, nous ne pouvons pas trouver la vie en restant tristes, sans espérance, et en demeurant prisonniers de nous-mêmes. Mais ouvrons au Seigneur nos tombeaux scellés – chacun de nous les connais –, pour que Jésus entre et donne vie ; portons-lui les pierres des rancunes et les amas du passé, les lourds rochers des faiblesses et des chutes. Il souhaite venir et nous prendre par la main, pour nous tirer de l’angoisse. Mais la première pierre à faire rouler au loin cette nuit, c’est le manque d’espérance qui nous enferme en nous-mêmes. Que le Seigneur nous libère de ce terrible piège d’être des chrétiens sans espérance, qui vivent comme si le Seigneur n’était pas ressuscité et comme si nos problèmes étaient le centre de la vie.

Nous voyons et nous verrons continuellement des problèmes autour de nous et en nous. Il y en aura toujours. Mais, cette nuit, il faut éclairer ces problèmes de la lumière du Ressuscité, en un certain sens, les « évangéliser ». Évangéliser les problèmes. Les obscurités et les peurs ne doivent pas accrocher le regard de l’âme et prendre possession du cœur ; mais écoutons la parole de l’Ange : le Seigneur « n’est pas ici, il est ressuscité » (v. 6), il est notre plus grande joie, il est toujours à nos côtés et ne nous décevra jamais.

Voilà le fondement de l’espérance, qui n’est pas un simple optimisme, ni une attitude psychologique ou une bonne invitation à nous donner du courage. L’espérance chrétienne est un don que Dieu nous fait, si nous sortons de nous-mêmes et nous ouvrons à lui. Cette espérance ne déçoit pas car l’Esprit Saint a été répandu dans nos cœurs (cf. Rm 5, 5). Le Consolateur ne rend pas tout beau, il ne supprime pas le mal d’un coup de baguette magique, mais il infuse la vraie force de la vie, qui n’est pas une absence de problèmes mais la certitude d’être toujours aimés et pardonnés par le Christ qui, pour nous, a vaincu le péché, a vaincu la mort, a vaincu la peur. Aujourd’hui c’est la fête de notre espérance, la célébration de cette certitude : rien ni personne ne pourra jamais nous séparer de son amour (cf. Rm 8, 39).

Le Seigneur est vivant et veut être cherché parmi les vivants. Après l’avoir rencontré, il envoie chacun porter l’annonce de Pâques,susciter et ressusciter l’espérance dans les cœurs appesantis par la tristesse, chez celui qui peine à trouver la lumière de la vie. Il y en a tellement besoin aujourd’hui. Oublieux de nous-mêmes, comme des serviteurs joyeux de l’espérance, nous sommes appelés à annoncer le Ressuscité avec la vie et par l’amour ; autrement nous serions une structure internationale avec un grand nombre d’adeptes et de bonnes règles, mais incapables de donner l’espérance dont le monde est assoiffé.

Comment pouvons-nous nourrir notre espérance ? La liturgie de cette nuit nous donne un bon conseil. Elle nous apprend à faire mémoire des œuvres de Dieu. Les lectures nous ont raconté, en effet, sa fidélité, l’histoire de son amour envers nous. La Parole vivante de Dieu est capable de nous associer à cette histoire d’amour, en alimentant l’espérance et en ravivant la joie. L’Évangile que nous avons entendu nous le rappelle aussi : les anges, pour insuffler l’espérance aux femmes, disent : « Rappelez-vous ce qu’il vous a dit » (v. 6). Faire mémoire des paroles de Jésus, faire mémoire de tout ce qu’il a fait dans notre vie. N’oublions pas sa Parole ni ses œuvres, autrement nous perdrions l’espérance et deviendrions des chrétiens sans espérance ; au contraire, faisons mémoire du Seigneur, de sa bonté et de ses paroles de vie qui nous ont touchés ; rappelons-les et faisons-les nôtres, pour être les sentinelles du matin qui sachent découvrir les signes du Ressuscité.

Chers frères et sœurs, le Christ est ressuscité ! Et nous avons la possibilité de nous ouvrir et de recevoir son don d’espérance. Ouvrons-nous à l’espérance et mettons-nous en route ; que la mémoire de ses œuvres et de ses paroles soit une lumière éclatante qui guide nos pas dans la confiance, vers cette Pâque qui n’aura pas de fin.

NOËL

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Basilique vaticane


En cette nuit, resplendit une « grande lumière » (Is 9, 1) ; sur nous tous brille la lumière de la naissance de Jésus. Comme les paroles du prophète Isaïe que nous avons écoutées sont vraies et actuelles : « Tu as prodigué la joie, tu as fait grandir l’allégresse » (9, 2) ! Notre cœur était déjà rempli de joie par l’attente de ce moment, mais maintenant, ce sentiment est multiplié et surabonde, parce que la promesse s’est accomplie, finalement elle s’est réalisée. Joie et allégresse nous assurent que le message contenu dans le mystère de cette nuit vient vraiment de Dieu. Il n’y a pas de place pour le doute ; laissons-le aux sceptiques qui, pour interroger seulement la raison, ne trouvent jamais la vérité. Il n’y a pas de place pour l’indifférence qui domine dans le cœur de celui qui ne réussit pas à aimer parce qu’il a peur de perdre quelque chose. Toute tristesse est bannie, parce que l’Enfant Jésus est le véritable consolateur du cœur.

Aujourd’hui, le Fils de Dieu est né : tout change. Le Sauveur du monde vient pour se faire participant de notre nature humaine ; nous ne sommes plus seuls ni abandonnés. La Vierge nous offre son Fils comme principe d’une vie nouvelle. La lumière vient éclairer notre existence, souvent enfermée dans l’ombre du péché. Aujourd’hui découvrons d’une façon nouvelle qui nous sommes ! En cette nuit, nous est rendu manifeste le chemin à parcourir pour rejoindre le but. Maintenant, toute peur et toute frayeur doivent cesser, parce que la lumière nous indique la route vers Bethléem. Nous ne pouvons demeurer inertes. Il ne nous est pas permis de rester arrêtés. Nous devons aller voir notre Sauveur déposé dans une mangeoire. Voilà le motif de la joie et de l’allégresse : cet Enfant est « né pour nous », il nous est « donné à nous », comme l’annonce Isaïe (cf. 9, 5). À un peuple qui depuis deux mille ans parcourt toutes les routes du monde pour rendre chaque homme participant de cette joie, est confiée la mission de faire connaître le « Prince de la paix » et devenir son instrument efficace au milieu des nations.

Et donc, quand nous entendons parler de la naissance du Christ, restons en silence et laissons parler cet Enfant ; imprimons dans notre cœur ses paroles sans détourner notre regard de son visage. Si nous le prenons dans nos bras et si nous nous laissons embrasser par lui, il nous apportera la paix du cœur qui n’aura jamais de fin. Cet Enfant nous enseigne quelle est la chose vraiment essentielle dans notre vie. Il naît dans la pauvreté du monde, parce qu’il n’y a pas de place à l’hôtellerie pour lui et sa famille. Il trouve abri et soutien dans une étable, et il est déposé dans une mangeoire pour animaux. Pourtant, de ce rien, émerge la lumière de la gloire de Dieu. À partir de là, pour les hommes au cœur simple, commence le chemin de la libération véritable et du rachat éternel. De cet Enfant, qui porte imprimés sur son visage les traits de la bonté, de la miséricorde et de l’amour de Dieu le Père, jaillit pour nous tous, ses disciples, comme l’enseigne l’apôtre Paul, l’engagement à « renoncer à l’impiété » et à la richesse du monde, pour vivre « de manière raisonnable, avec justice et piété » (Tt 2, 12).

Dans une société souvent éprise de consommation et de plaisir, d’abondance et de luxe, d’apparence et de narcissisme, Lui nous appelle à un comportement sobre, c’est-à-dire simple, équilibré, cohérent, capable de saisir et de vivre l’essentiel. Dans un monde qui est trop souvent dur avec le pécheur et mou avec le péché, il faut cultiver un fort sens de la justice, de la recherche et de la mise en pratique de la volonté de Dieu. Dans une culture de l’indifférence qui finit souvent par être impitoyable, que notre style de vie soit au contraire plein de piété, d’empathie, de compassion, de miséricorde, puisées chaque jour au puits de la prière.

Comme pour les bergers de Bethléem, que nos yeux puissent aussi être pleins d’étonnement et d’émerveillement, contemplant dans l’Enfant-Jésus le Fils de Dieu. Et, devant Lui, que jaillisse de nos cœurs l’invocation : « Montre-nous, Seigneur, ta miséricorde, et donne-nous ton salut » (Ps 85, 8).

VISITE PASTORALE DU PAPE FRANÇOIS

À TURIN

CONCÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE

HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE

Piazza Vittorio


Dans la prière de la collecte, nous avons prié : « Donne à ton peuple, ô Père, de vivre toujours dans la vénération et dans l’amour pour ton saint nom, car tu ne prives jamais de ta grâce ceux que tu as établis sur le rocher de ton amour ». Et les lectures que nous avons écoutées nous montrent de quelle nature est cet amour de Dieu envers nous: c’est un amour fidèle, un amour quirecrée tout, un amour stable et sûr.

Le psaume nous a invités à remercier le Seigneur car « son amour est pour toujours ». Tel est l’amour fidèle, la fidélité : c’est un amour qui ne déçoit pas, qui est toujours présent. Jésus incarne cet amour, il en est le témoin. Il ne se lasse jamais de nous aimer, de nous supporter, de nous pardonner, et ainsi, nous accompagne-t-il sur le chemin de la vie, selon la promesse qu’il fit à ses disciples : « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Par amour, il s’est fait homme, par amour, il est mort et ressuscité, et par amour, il est toujours à nos côtés, dans les bons moments comme dans les moments difficiles. Jésus nous aime toujours, jusqu’à la fin, sans limite et sans mesure. Et il nous aime tous, au point que chacun de nous peut dire : « Il a donné sa vie pour moi ». Pour moi ! La fidélité de Jésus ne s’étiole pas davantage face à notre infidélité. Saint Paul nous le rappelle : « Si nous sommes infidèles, il demeure fidèle, car il ne peut se renier lui-même » (2 Tm 2, 13). Jésus demeure fidèle, même quand nous avons commis une erreur, et il nous attend pour nous pardonner : Il est le visage du Père miséricordieux. Tel est l’amour fidèle.

Le second aspect : l’amour de Dieu recrée tout, c’est-à-dire qu’il rend toute chose nouvelle, comme nous l’a rappelé la seconde lecture. Reconnaître nos limites, nos faiblesses, est la porte qui ouvre au pardon de Jésus, à son amour qui peut nous renouveler profondément, qui peut nous recréer. Le salut peut entrer dans notre cœur quand nous nous ouvrons à la vérité et que nous reconnaissons nos erreurs, nos péchés ; alors nous faisons l’expérience, cette belle expérience de celui qui est venu non pas pour les personnes saines, mais pour les malades, pas pour les justes, mais pour les pécheurs (cf. Mt 9, 12-13) ; nous faisons l’expérience de sa patience — il en a tant ! — de sa tendresse, sa volonté de sauver tout le monde. Et quel est le signe ? Le signe que nous sommes devenus « nouveaux » et que nous avons été transformés par l’amour de Dieu est le fait de savoir se défaire des habits usés et des vieilles rancœurs ainsi que des inimitiés pour revêtir la tunique propre de la mansuétude, de la bienveillance, du service aux autres, de la paix du cœur, propre aux enfants de Dieu. L’esprit du monde est toujours à la recherche de nouveautés, mais seule la fidélité de Jésus est capable de la vraie nouveauté, de faire de nous des hommes nouveaux, de nous recréer.

Enfin, l’amour de Dieu est stable et sûr, comme les rochers qui mettent à l’abri de la violence des vagues. Jésus le manifeste dans le miracle raconté par l’Évangile, lorsqu’il apaise la tempête, en commandant le vent et la mer (cf. Mc 4, 41). Les disciples ont peur car ils se rendent compte qu’ils ne s’en sortiront pas, mais il ouvre leurs cœurs au courage de la foi. Face à l’homme qui crie : « Je n’en peux plus », le Seigneur va vers lui, offre le roc de son amour, auquel tout le monde peut s’agripper en étant certains de ne pas tomber. Combien de fois nous avons la sensation de ne pas y arriver ! Mais lui est à côté de nous avec la main tendue et le cœur ouvert.

Chers frères et sœurs turinois et piémontais, nos ancêtres savaient bien ce que signifie être un « roc », ce que veut dire « solidité ». Un de nos célèbres poètes en donne un beau témoignage :

« Droits et sincères, tels qu’ils sont, ils apparaissent: têtes carrées, poigne ferme et foie sain, ils parlent peu mais savent ce qu’ils disent, même s’ils marchent avec lenteur, ils vont loin. Des gens qui n’épargnent ni temps ni sueur — libre et entêtée est notre race —. Tout le monde sait qui ils sont et, lorsqu’ils passent... tout le monde les regarde ».

Nous pouvons nous demander si aujourd’hui nous sommes arrimés au roc qu’est l’amour de Dieu. La façon dont nous vivons l’amour fidèle de Dieu envers nous. Il y a toujours le risque d’oublier ce grand amour que le Seigneur nous a montré. Même nous, les chrétiens, courons le risque de nous laisser paralyser par les peurs de l’avenir et de rechercher des sécurités dans des choses qui passent, ou dans un modèle de société fermée qui tend à exclure plus qu’à inclure. Sur cette terre, ont grandi de nombreux saints et bienheureux qui ont accueilli l’amour de Dieu et qui l’ont diffusé dans le monde, des saints libres et entêtés. Dans le sillage de ces témoins, nous pouvons nous aussi vivre la joie de l’Évangile en pratiquant la miséricorde ; nous pouvons partager les difficultés de tant de personnes, des familles, spécialement les plus fragiles et marquées par la crise économique. Les familles ont besoin de sentir la caresse maternelle de l’Église pour avancer dans la vie conjugale, dans l’éducation des enfants, dans le soin des personnes âgées et également dans la transmission de la foi aux jeunes générations.

Croyons-nous que le Seigneur est fidèle ? Comment vivons-nous la nouveauté de Dieu qui nous transforme tous les jours ? Comment vivons-nous l’amour solide du Seigneur, qui se place comme une barrière sûre contre les vagues de l’orgueil et des fausses nouveautés ? Que l’Esprit Saint nous aide à être toujours conscients de cet amour «rocheux» qui nous rend stables et forts dans les petites et les grandes souffrances, qui nous rend capables de ne pas nous fermer face à la difficulté, d’affronter la vie avec courage et regarder l’avenir avec espérance. Comme à l’époque sur le lac de Galilée, aujourd’hui aussi dans la mer de notre existence, Jésus est celui qui vainc les forces du mal et les menaces du désespoir. La paix qu’il nous donne est pour tout le monde; également pour de nombreux frères et sœurs qui fuient des guerres et des persécutions en quête de paix et de liberté.

Très chers amis, hier vous avez célébré la Bienheureuse Vierge Consolatrice, la Consolatrice, qui « est là : petite et forte, sans fioritures : comme une bonne mère ». Confions à notre Mère le chemin ecclésial et civil de cette terre: Elle nous aide à suivre le Seigneur pour être fidèles, pour nous laisser renouveler tous les jours et demeurer solides dans l’amour. Ainsi soit-il.

MESSE EN LA SOLENNITÉ DE PENTECÔTE

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Basilique vaticane


« De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie… Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20, 21.22), nous dit Jésus. L’effusion qui a eu lieu le soir de la Résurrection se répète le jour de Pentecôte, renforcée par d’extraordinaires manifestations extérieures. Le soir de Pâques, Jésus apparaît aux Apôtre et souffle sur eux son Esprit (cf. Jn 20, 22) ; le matin de la Pentecôte, l’effusion se produit de façon retentissante, comme un vent qui s’abat avec impétuosité sur la maison et fait irruption dans les esprits et dans les cœurs des Apôtres. En conséquent, ils reçoivent une énergie telle qu’elle les pousse à annoncer en différentes langues l’évènement de la Résurrection du Christ : « Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues » (Ac 2, 4). Avec eux se trouvait Marie, la Mère de Jésus, la première disciple, et ici Mère de l’Église naissante. De sa paix, de son sourire, de sa maternité, elle accompagnait la joie de la jeune Épouse, l’Église de Jésus.

La Parole de Dieu, spécialement celle d’aujourd’hui, nous dit que l’Esprit agit, dans les personnes et dans les communautés qui en sont remplies, il les rend capables de recipere Deum, capax Dei”, disent les Pères de l’Église. Et que fait l’Esprit Saint par cette nouvelle capacité qu’il nous donne ? Il conduit dans la vérité tout entière (Jn 16, 13), renouvelle la face de la terre (Ps 103) etdonne ses fruits (Ga 5, 22-23). Il conduit, il renouvelle et il fructifie.

Dans l’Évangile, Jésus promet à ses disciples que, lorsqu’il sera retourné au Père, il enverra l’Esprit Saint qui les « conduira dans la vérité tout entière » (Jn 16, 13). Il l’appelle vraiment « Esprit de vérité » et il leur explique que son action sera celle de les introduire toujours plus dans la compréhension de ce que Lui, le Messie, a dit et a fait, en particulier de sa mort et résurrection. Aux Apôtres, incapables de supporter le scandale de la passion de leur Maître, l’Esprit donnera une nouvelle clé de lecture pour les introduire dans la vérité et dans la beauté de l’événement du salut. Ces hommes, d’abord effrayés et bloqués, enfermés dans le Cénacle pour éviter les répercussions du vendredi saint, n’auront plus honte d’être disciples du Christ, ils ne craindront plus devant les tribunaux humains. Grâce à l’Esprit Saint dont ils sont remplis, ils comprennent « la vérité tout entière », c’est-à-dire que la mort de Jésus n’est pas sa défaite, mais l’expression extrême de l’amour de Dieu ; amour qui, dans la Résurrection, vainc la mort et exalte Jésus comme le Vivant, le Seigneur, le Rédempteur de l’homme, le Seigneur de l’histoire et du monde. Et cette réalité, dont ils sont témoins, devient la Bonne Nouvelle à annoncer à tous.

Ensuite, l’Esprit Saint renouvelle – guide et renouvelle – renouvelle la face de la terre. Le Psaume dit : « Tu envoies ton souffle… et tu renouvelles la face de la terre » (Ps 103, 30). Le récit des Actes des Apôtres sur la naissance de l’Église trouve une correspondance significative dans ce Psaume, qui est une grande louange au Dieu Créateur. L’Esprit Saint que le Christ a envoyé du Père, et l’Esprit créateur qui a donné la vie à toute chose, sont un seul et le même. C’est pourquoi le respect du créé est une exigence de notre foi : le “jardin” dans lequel nous vivons ne nous est pas confié pour que nous l’exploitions mais pour que nous le cultivions et le gardions avec respect (cf. Gn 2, 15). Mais cela est n’est possible que si Adam – l’homme formé de la terre – à son tour se laisser renouveler par l’Esprit Saint, s’il se laisse remodeler par le Père sur le modèle du Christ, nouvel Adam. Alors oui, renouvelés par l’Esprit, nous pouvons vivre la liberté des fils, en harmonie avec tout le créé, et nous pouvons reconnaître en chaque créature un reflet de la gloire du Créateur, comme l’affirme un autre psaume : « Ô Seigneur notre Dieu, qu’il est grand ton nom par toute la terre ! » (8, 2.10). Il conduit, il renouvelle et donne, il donne du fruit.

Dans la Lettre aux Galates, saint Paul veut montrer quel est le “fruit” qui se manifeste dans la vie de ceux qui marchent selon l’Esprit (cf. 5, 22). D’un côté, il y a la « chair » avec le cortège de ses vices que l’Apôtre énumère, et qui sont les œuvres de l’homme égoïste, fermé à l’action de la grâce de Dieu. Au contraire, dans l’homme qui par la foi, laisse l’Esprit de Dieu faire irruption en lui, fleurissent les dons divins, résumés en neuf vertus joyeuses que Paul appelle « fruits de l’Esprit ». De là l’appel, répété en ouverture et en conclusion, comme un programme de vie : « Marchez sous la conduite de l’Esprit Saint » (Ga 5, 16.25).

Le monde a besoin d’hommes et de femmes qui ne soient pas fermés, mais remplis d’Esprit Saint. La fermeture à l’Esprit Saint est non seulement manque de liberté, mais aussi péché. Il y a tant de manières de se fermer à l’Esprit Saint : dans l’égoïsme de son propre avantage, dans le légalisme rigide ­– comme l’attitude des docteurs de la Loi que Jésus appelle hypocrites –, dans le manque de mémoire pour ce que Jésus a enseigné, dans le fait de vivre la vie chrétienne non comme service mais comme intérêt personnel, et ainsi de suite. Au contraire, le monde a besoin du courage, de l’espérance, de la foi et de la persévérance des disciples du Christ. Le monde a besoin des fruits, des dons de l’Esprit Saint, comme énumère saint Paul : « amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi » (Ga 5, 22). Le don de l’Esprit Saint a été accordé en abondance à l’Église et à chacun de nous, pour que nous puissions vivre avec une foi authentique et une charité active, pour que nous puissions répandre les germes de la réconciliation et de la paix. Fortifiés par l’Esprit – qui conduit, nous conduit dans la vérité, qui nous renouvelle, nous et toute la terre, et qui nous donne les fruits – fortifiés par l’Esprit et par ses multiples dons, devenons capables de lutter sans compromissions contre le péché et de lutter sans compromissions contre la corruption, qui s’étend toujours plus dans le monde de jour en jour, et de nous dévouer avec une persévérance patiente aux œuvres de la justice et de la paix.

Misericordiae Vultus

BULLE D'INDICTION

DU JUBILÉ EXTRAORDINAIRE

DE LA MISÉRICORDE

FRANÇOIS

EVÊQUE DE ROME

SERVITEUR DES SERVITEURS DE DIEU

À CEUX QUI LIRONT CETTE LETTRE

GRÂCE, MISÉRICORDE ET PAIX

1. Jésus-Christ est le visage de la miséricorde du Père. Le mystère de la foi chrétienne est là tout entier. Devenue vivante et visible, elle atteint son sommet en Jésus de Nazareth. Le Père, «riche en miséricorde» (Ep 2, 4) après avoir révélé son nom à Moïse comme «Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité» (Ex 34, 6) n’a pas cessé de faire connaître sa nature divine de différentes manières et en de nombreux moments. Lorsqu’est venue la «plénitude des temps» (Ga 4, 4), quand tout fut disposé selon son dessein de salut, il envoya son Fils né de la Vierge Marie pour nous révéler de façon définitive son amour. Qui le voit a vu le Père (cf. Jn 14, 9). A travers sa parole, ses gestes, et toute sa personne,[1] Jésus de Nazareth révèle la miséricorde de Dieu.

2. Nous avons toujours besoin de contempler le mystère de la miséricorde. Elle est source de joie, de sérénité et de paix. Elle est la condition de notre salut. Miséricorde est le mot qui révèle le mystère de la Sainte Trinité. La miséricorde, c’est l’acte ultime et suprême par lequel Dieu vient à notre rencontre. La miséricorde, c’est la loi fondamentale qui habite le cœur de chacun lorsqu’il jette un regard sincère sur le frère qu’il rencontre sur le chemin de la vie. La miséricorde, c’est le chemin qui unit Dieu et l’homme, pour qu’il ouvre son cœur à l’espérance d’être aimé pour toujours malgré les limites de notre péché.

3. Il y a des moments où nous sommes appelés de façon encore plus pressante, à fixer notre regard sur la miséricorde, afin de devenir nous aussi signe efficace de l’agir du Père. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu ce Jubilé Extraordinaire de la Miséricorde, comme un temps favorable pour l’Eglise, afin que le témoignage rendu par les croyants soit plus fort et plus efficace.

L’Année Sainte s’ouvrira le 8 décembre 2015, solennité de l’Immaculée Conception. Cette fête liturgique montre comment Dieu agit dès le commencement de notre histoire. Après qu’Adam et Eve eurent péché, Dieu n’a pas voulu que l’humanité demeure seule et en proie au mal. C’est pourquoi Marie a été pensée et voulue sainte et immaculée dans l’amour (cf. Ep 1, 4), pour qu’elle devienne la Mère du Rédempteur de l’homme. Face à la gravité du péché, Dieu répond par la plénitude du pardon. La miséricorde sera toujours plus grande que le péché, et nul ne peut imposer une limite à l’amour de Dieu qui pardonne. En cette fête de l’Immaculée Conception, j’aurai la joie d’ouvrir la Porte Sainte. En cette occasion, ce sera une Porte de la Miséricorde, où quiconque entrera pourra faire l’expérience de l’amour de Dieu qui console, pardonne, et donne l’espérance.

Le dimanche suivant, troisième de l’Avent, la Porte Sainte sera ouverte dans la cathédrale de Rome, la Basilique Saint Jean de Latran. Ensuite seront ouvertes les Portes Saintes dans les autres Basiliques papales. Ce même dimanche, je désire que dans chaque Eglise particulière, dans la cathédrale qui est l’Eglise-mère pour tous les fidèles, ou bien dans la co-cathédrale ou dans une église d’importance particulière, une Porte de la Miséricorde soit également ouverte pendant toute l’Année Sainte. Au choix de l’Ordinaire du lieu, elle pourra aussi être ouverte dans les Sanctuaires où affluent tant de pèlerins qui, dans ces lieux ont le cœur touché par la grâce et trouvent le chemin de la conversion. Chaque Eglise particulière est donc directement invitée à vivre cette Année Sainte comme un moment extraordinaire de grâce et de renouveau spirituel. Donc, le Jubilé sera célébré à Rome, de même que dans les Eglises particulières, comme signe visible de la communion de toute l’Eglise.

4. J’ai choisi la date du 8 décembre pour la signification qu’elle revêt dans l’histoire récente de l’Eglise. Ainsi, j’ouvrirai la Porte Sainte pour le cinquantième anniversaire de la conclusion du Concile œcuménique Vatican II. L’Eglise ressent le besoin de garder vivant cet événement. C’est pour elle que commençait alors une nouvelle étape de son histoire. Les Pères du Concile avait perçu vivement, tel un souffle de l’Esprit, qu’il fallait parler de Dieu aux hommes de leur temps de façon plus compréhensible. Les murailles qui avaient trop longtemps enfermé l’Eglise comme dans une citadelle ayant été abattues, le temps était venu d’annoncer l’Evangile de façon renouvelée. Etape nouvelle pour l’évangélisation de toujours. Engagement nouveau de tous les chrétiens à témoigner avec plus d’enthousiasme et de conviction de leur foi. L’Eglise se sentait responsable d’être dans le monde le signe vivant de l’amour du Père.

Les paroles riches de sens que saint Jean XXIII a prononcées à l’ouverture du Concile pour montrer le chemin à parcourir reviennent en mémoire: «Aujourd’hui, l’Épouse du Christ, l’Église, préfère recourir au remède de la miséricorde plutôt que de brandir les armes de la sévérité… L’Eglise catholique, en brandissant le flambeau de la vérité religieuse, veut se montrer la mère très aimante de tous, bienveillante, patiente, pleine d’indulgence et de bonté à l’égard de ses fils séparés».[2] Dans la même perspective, lors de la conclusion du Concile, le bienheureux Paul VI s’exprimait ainsi: «Nous voulons plutôt souligner que la règle de notre Concile a été avant tout la charité … La vieille histoire du bon Samaritain a été le modèle et la règle de la spiritualité du Concile…. Un courant d’affection et d’admiration a débordé du Concile sur le monde humain moderne. Des erreurs ont été dénoncées. Oui, parce que c’est l’exigence de la charité comme de la vérité mais, à l’adresse des personnes, il n’y eut que rappel, respect et amour. Au lieu de diagnostics déprimants, des remèdes encourageants ; au lieu de présages funestes, des messages de confiance sont partis du Concile vers le monde contemporain: ses valeurs ont été non seulement respectées, mais honorées ; ses efforts soutenus, ses aspirations purifiées et bénies… toute cette richesse doctrinale ne vise qu’à une chose: servir l’homme. Il s’agit, bien entendu, de tout homme, quels que soient sa condition, sa misère et ses besoins».[3]

Animé par des sentiments de gratitude pour tout ce que l’Eglise a reçu, et conscient de la responsabilité qui est la nôtre, nous passerons la Porte Sainte sûrs d’être accompagnés par la force du Seigneur Ressuscité qui continue de soutenir notre pèlerinage. Que l’Esprit Saint qui guide les pas des croyants pour coopérer à l’œuvre du salut apporté par le Christ, conduise et soutienne le Peuple de Dieu pour l’aider à contempler le visage de la miséricorde.[4]

5. C’est le 20 novembre 2016, en la solennité liturgique du Christ, Roi de l’Univers, que sera conclue l’Année jubilaire. En refermant la Porte Sainte ce jour-là, nous serons animés de sentiments de gratitude et d’action de grâce envers la Sainte Trinité qui nous aura donné de vivre ce temps extraordinaire de grâce. Nous confierons la vie de l’Eglise, l’humanité entière et tout le cosmos à la Seigneurie du Christ, pour qu’il répande sa miséricorde telle la rosée du matin, pour une histoire féconde à construire moyennant l’engagement de tous au service de notre proche avenir. Combien je désire que les années à venir soient comme imprégnées de miséricorde pour aller à la rencontre de chacun en lui offrant la bonté et la tendresse de Dieu! Qu’à tous, croyants ou loin de la foi, puisse parvenir le baume de la miséricorde comme signe du Règne de Dieu déjà présent au milieu de nous.

6. «La miséricorde est le propre de Dieu dont la toute-puissance consiste justement à faire miséricorde».[5] Ces paroles de saint Thomas d’Aquin montrent que la miséricorde n’est pas un signe de faiblesse, mais bien l’expression de la toute-puissance de Dieu. C’est pourquoi une des plus antiques collectes de la liturgie nous fait prier ainsi: «Dieu qui donne la preuve suprême de ta puissance lorsque tu patientes et prends pitié».[6] Dieu sera toujours dans l’histoire de l’humanité comme celui qui est présent, proche, prévenant, saint et miséricordieux.

“Patient et miséricordieux”, tel est le binôme qui parcourt l’Ancien Testament pour exprimer la nature de Dieu. Sa miséricorde se manifeste concrètement à l’intérieur de tant d’événements de l’histoire du salut où sa bonté prend le pas sur la punition ou la destruction. D’une façon particulière, les Psaumes font apparaître cette grandeur de l’agir divin: «Car il pardonne toutes tes offenses et te guérit de toute maladie ; il réclame ta vie à la tombe et te couronne d’amour et de tendresse» (Ps 102, 3-4). D’une façon encore plus explicite, un autre Psaume énonce les signes concrets de la miséricorde: «Il fait justice aux opprimés ; aux affamés, il donne le pain ; le Seigneur délie les enchaînés. Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles, le Seigneur redresse les accablés, le Seigneur aime les justes, le Seigneur protège l’étranger. Il soutient la veuve et l’orphelin, il égare les pas du méchant» (145, 7-9). Voici enfin une autre expression du psalmiste: «[Le Seigneur] guérit les cœurs brisés et soigne leurs blessures… Le Seigneur élève les humbles et rabaisse jusqu’à terre les impies» (146, 3.6). En bref, la miséricorde de Dieu n’est pas une idée abstraite, mais une réalité concrète à travers laquelle Il révèle son amour comme celui d’un père et d’une mère qui se laissent émouvoir au plus profond d’eux mêmes par leur fils. Il est juste de parler d’un amour «viscéral». Il vient du cœur comme un sentiment profond, naturel, fait de tendresse et de compassion, d’indulgence et de pardon.

7. «Eternel est son amour»: c’est le refrain qui revient à chaque verset du Psaume 135 dans le récit de l’histoire de la révélation de Dieu. En raison de la miséricorde, tous les événements de l’Ancien Testament sont riches d’une grande valeur salvifique. La miséricorde fait de l’histoire de Dieu avec Israël une histoire du salut. Répéter sans cesse: «Eternel est son amour» comme fait le Psaume, semble vouloir briser le cercle de l’espace et du temps pour tout inscrire dans le mystère éternel de l’amour. C’est comme si l’on voulait dire que non seulement dans l’histoire, mais aussi dans l’éternité, l’homme sera toujours sous le regard miséricordieux du Père. Ce n’est pas par hasard que le peuple d’Israël a voulu intégrer ce Psaume, le “Grand hallel” comme on l’appelle, dans les fêtes liturgiques les plus importantes.

Avant la Passion, Jésus a prié avec ce Psaume de la miséricorde. C’est ce qu’atteste l’évangéliste Matthieu quand il dit qu’«après avoir chanté les Psaumes» (26, 30), Jésus et ses disciples sortirent en direction du Mont des Oliviers. Lorsqu’il instituait l’Eucharistie, mémorial pour toujours de sa Pâque, il établissait symboliquement cet acte suprême de la Révélation dans la lumière de la miséricorde. Sur ce même horizon de la miséricorde, Jésus vivait sa passion et sa mort, conscient du grand mystère d’amour qui s’accomplissait sur la croix. Savoir que Jésus lui-même a prié avec ce Psaume le rend encore plus important pour nous chrétiens, et nous appelle à en faire le refrain de notre prière quotidienne de louange : «Eternel est son amour».

8. Le regard fixé sur Jésus et son visage miséricordieux, nous pouvons accueillir l’amour de la Sainte Trinité. La mission que Jésus a reçue du Père a été de révéler le mystère de l’amour divin dans sa plénitude. L’évangéliste Jean affirme pour la première et unique fois dans toute l’Ecriture: «Dieu est amour» (1 Jn 4, 8.16). Cet amour est désormais rendu visible et tangible dans toute la vie de Jésus. Sa personne n’est rien d’autre qu’amour, un amour qui se donne gratuitement. Les relations avec les personnes qui s’approchent de Lui ont quelque chose d’unique et de singulier. Les signes qu’il accomplit, surtout envers les pécheurs, les pauvres, les exclus, les malades et les souffrants, sont marqués par la miséricorde. Tout en Lui parle de miséricorde. Rien en Lui ne manque de compassion.

Face à la multitude qui le suivait, Jésus, voyant qu’ils étaient fatigués et épuisés, égarés et sans berger, éprouva au plus profond de son cœur, une grande compassion pour eux (cf. Mt 9, 36). En raison de cet amour de compassion, il guérit les malades qu’on lui présentait (cf. Mt 14, 14), et il rassasia une grande foule avec peu de pains et de poissons (cf. Mt 15, 37). Ce qui animait Jésus en toute circonstance n’était rien d’autre que la miséricorde avec laquelle il lisait dans le cœur de ses interlocuteurs et répondait à leurs besoins les plus profonds. Lorsqu’il rencontra la veuve de Naïm qui emmenait son fils unique au tombeau, il éprouva une profonde compassion pour la douleur immense de cette mère en pleurs, et il lui redonna son fils, le ressuscitant de la mort (cf. Lc7, 15). Après avoir libéré le possédé de Gerasa, il lui donna cette mission: «Annonce tout ce que le Seigneur a fait pour toi dans sa miséricorde» (Mc 5, 19). L’appel de Matthieu est lui aussi inscrit sur l’horizon de la miséricorde. Passant devant le comptoir des impôts, Jésus regarda Matthieu dans les yeux. C’était un regard riche de miséricorde qui pardonnait les péchés de cet homme, et surmontant les résistances des autres disciples, il le choisit, lui, le pécheur et le publicain, pour devenir l’un des Douze. Commentant cette scène de l’Evangile, Saint Bède le Vénérable a écrit que Jésus regarda Matthieu avec un amour miséricordieux, et le choisit: miserando atque eligendo.[7] Cette expression m’a toujours fait impression au point d’en faire ma devise.

9. Dans les paraboles de la miséricorde, Jésus révèle la nature de Dieu comme celle d’un Père qui ne s’avoue jamais vaincu jusqu’à ce qu’il ait absous le péché et vaincu le refus, par la compassion et la miséricorde. Nous connaissons ces paraboles, trois en particulier : celle de la brebis égarée, celle de la pièce de monnaie perdue, et celle du père et des deux fils (cf. Lc 15, 1-32). Dans ces paraboles, Dieu est toujours présenté comme rempli de joie, surtout quand il pardonne. Nous y trouvons le noyau de l’Evangile et de notre foi, car la miséricorde y est présentée comme la force victorieuse de tout, qui remplit le cœur d’amour, et qui console en pardonnant.

Dans une autre parabole, nous recevons un enseignement pour notre manière de vivre en chrétiens. Interpellé par la question de Pierre lui demandant combien de fois il fallait pardonner, Jésus répondit: «Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante dix fois sept fois» (Mt 18, 22). Il raconte ensuite la parabole du «débiteur sans pitié». Appelé par son maître à rendre une somme importante, il le supplie à genoux et le maître lui remet sa dette. Tout de suite après, il rencontre un autre serviteur qui lui devait quelques centimes. Celui-ci le supplia à genoux d’avoir pitié, mais il refusa et le fit emprisonner. Ayant appris la chose, le maître se mit en colère et rappela le serviteur pour lui dire: «Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?» (Mt 18, 33). Et Jésus conclut: «C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur» (Mt 18, 35).

La parabole est d’un grand enseignement pour chacun de nous. Jésus affirme que la miséricorde n’est pas seulement l’agir du Père, mais elle devient le critère pour comprendre qui sont ses véritables enfants. En résumé, nous sommes invités à vivre de miséricorde parce qu’il nous a d’abord été fait miséricorde. Le pardon des offenses devient l’expression la plus manifeste de l’amour miséricordieux, et pour nous chrétiens, c’est un impératif auquel nous ne pouvons pas nous soustraire. Bien souvent, il nous semble difficile de pardonner ! Cependant, le pardon est le moyen déposé dans nos mains fragiles pour atteindre la paix du cœur. Se défaire de la rancœur, de la colère, de la violence et de la vengeance, est la condition nécessaire pour vivre heureux. Accueillons donc la demande de l’apôtre: «Que le soleil ne se couche pas sur votre colère» (Ep 4, 26). Ecoutons surtout la parole de Jésus qui a établi la miséricorde comme idéal de vie, et comme critère de crédibilité de notre foi: «Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde» (Mt 5, 7). C’est la béatitude qui doit susciter notre engagement tout particulier en cette Année Sainte.

Comme on peut le remarquer, la miséricorde est, dans l’Ecriture, le mot-clé pour indiquer l’agir de Dieu envers nous. Son amour n’est pas seulement affirmé, mais il est rendu visible et tangible. D’ailleurs, l’amour ne peut jamais être un mot abstrait. Par nature, il est vie concrète: intentions, attitudes, comportements qui se vérifient dans l’agir quotidien. La miséricorde de Dieu est sa responsabilité envers nous. Il se sent responsable, c’est-à-dire qu’il veut notre bien et nous voir heureux, remplis de joie et de paix. L’amour miséricordieux des chrétiens doit être sur la même longueur d’onde. Comme le Père aime, ainsi aiment les enfants. Comme il est miséricordieux, ainsi sommes-nous appelés à être miséricordieux les uns envers les autres.

10. La miséricorde est le pilier qui soutient la vie de l’Eglise. Dans son action pastorale, tout devrait être enveloppé de la tendresse par laquelle on s’adresse aux croyants. Dans son annonce et le témoignage qu’elle donne face au monde, rien ne peut être privé de miséricorde. La crédibilité de l’Eglise passe par le chemin de l’amour miséricordieux et de la compassion. L’Eglise «vit un désir inépuisable d’offrir la miséricorde».[8] Peut-être avons-nous parfois oublié de montrer et de vivre le chemin de la miséricorde. D’une part, la tentation d’exiger toujours et seulement la justice a fait oublier qu’elle n’est qu’un premier pas, nécessaire et indispensable, mais l’Eglise doit aller au-delà pour atteindre un but plus haut et plus significatif. D’autre part, il est triste de voir combien l’expérience du pardon est toujours plus rare dans notre culture. Même le mot semble parfois disparaître. Sans le témoignage du pardon, il n’y a qu’une vie inféconde et stérile, comme si l’on vivait dans un désert. Le temps est venu pour l’Eglise de retrouver la joyeuse annonce du pardon. Il est temps de revenir à l’essentiel pour se charger des faiblesses et des difficultés de nos frères. Le pardon est une force qui ressuscite en vie nouvelle et donne le courage pour regarder l’avenir avec espérance.

11. Nous ne pouvons pas oublier le grand enseignement que saint Jean-Paul II nous a donné dans sa deuxième encyclique Dives in misericordia, qui arriva à l’époque de façon inattendue et provoqua beaucoup de surprise en raison du thème abordé. Je voudrais revenir plus particulièrement sur deux expressions. Tout d’abord le saint Pape remarque l’oubli du thème de la miséricorde dans la culture actuelle : «La mentalité contemporaine semble s’opposer au Dieu de miséricorde, et elle tend à éliminer de la vie et à ôter du cœur humain la notion même de miséricorde. Le mot et l’idée de miséricorde semblent mettre mal à l’aise l’homme qui, grâce à un développement scientifique et technique inconnu jusqu’ici, est devenu maître de la terre qu’il a soumise et dominée (cf. Gn 1, 28). Cette domination de la terre, entendue parfois de façon unilatérale et superficielle, ne laisse pas de place, semble-t-il, à la miséricorde… Et c’est pourquoi, dans la situation actuelle de l’Eglise

et du monde, bien des hommes et bien des milieux, guidés par un sens aigu de la foi, s’adressent, je dirais quasi spontanément, à la miséricorde de Dieu».[9]

C’est ainsi que saint Jean-Paul II justifiait l’urgence de l’annonce et du témoignage à l’égard de la miséricorde dans le monde contemporain: «Il est dicté par l’amour envers l’homme, envers tout ce qui est humain, et qui, selon l’intuition d’une grande partie des hommes de ce temps, est menacé par un péril immense. Le mystère du Christ… m’a poussé à rappeler dans l’encycliqueRedemptor Hominis sa dignité incomparable, m’oblige aussi à proclamer la miséricorde en tant qu’amour miséricordieux de Dieu révélé dans ce mystère. Il me conduit également à en appeler à cette miséricorde et à l’implorer dans cette phase difficile et critique de l’histoire de l’Eglise et du monde».[10] Son enseignement demeure plus que jamais d’actualité et mérite d’être repris en cette Année Sainte. Recevons ses paroles de façon renouvelée : «L’Eglise vit d’une vie authentique lorsqu’elle professe et proclame la Miséricorde, attribut le plus admirable du Créateur et du Rédempteur, et lorsqu’elle conduit les hommes aux sources de la Miséricorde du Sauveur, dont elle est la dépositaire et la dispensatrice».[11]

12. L’Eglise a pour mission d’annoncer la miséricorde de Dieu, cœur battant de l’Evangile, qu’elle doit faire parvenir au cœur et à l’esprit de tous. L’Epouse du Christ adopte l’attitude du Fils de Dieu qui va à la rencontre de tous, sans exclure personne. De nos jours où l’Eglise est engagée dans la nouvelle évangélisation, le thème de la miséricorde doit être proposé avec un enthousiasme nouveau et à travers une pastorale renouvelée. Il est déterminant pour l’Eglise et pour la crédibilité de son annonce de vivre et de témoigner elle-même de la miséricorde. Son langage et ses gestes doivent transmettre la miséricorde pour pénétrer le cœur des personnes et les inciter à retrouver le chemin du retour au Père.

La vérité première de l’Eglise est l’amour du Christ. L’Eglise se fait servante et médiatrice de cet amour qui va jusqu’au pardon et au don de soi. En conséquence, là où l’Eglise est présente, la miséricorde du Père doit être manifeste. Dans nos paroisses, les communautés, les associations et les mouvements, en bref, là où il y a des chrétiens, quiconque doit pouvoir trouver une oasis de miséricorde.

13. Nous voulons vivre cette Année Jubilaire à la lumière de la parole du Seigneur : Miséricordieux comme le Père. L’évangéliste rapporte l’enseignement du Christ qui dit : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Lc 6, 36). C’est un programme de vie aussi exigeant que riche de joie et de paix. Le commandement de Jésus s’adresse à ceux qui écoutent sa voix

(cf. Lc 6, 27). Pour être capable de miséricorde, il nous faut donc d’abord nous mettre à l’écoute de la Parole de Dieu. Cela veut dire qu’il nous faut retrouver la valeur du silence pour méditer la Parole qui nous est adressée. C’est ainsi qu’il est possible de contempler la miséricorde de Dieu et d’en faire notre style de vie.

14. Le pèlerinage est un signe particulier de l’Année Sainte : il est l’image du chemin que chacun parcourt au long de son existence. La vie est un pèlerinage, et l’être humain un viator, un pèlerin qui parcourt un chemin jusqu’au but désiré. Pour passer la Porte Sainte à Rome, et en tous lieux, chacun devra, selon ses forces, faire un pèlerinage. Ce sera le signe que la miséricorde est un but à atteindre, qui demande engagement et sacrifice. Que le pèlerinage stimule notre conversion : en passant la Porte Sainte, nous nous laisserons embrasser par la miséricorde de Dieu, et nous nous engagerons à être miséricordieux avec les autres comme le Père l’est avec nous.

Le Seigneur Jésus nous montre les étapes du pèlerinage à travers lequel nous pouvons atteindre ce but : « Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. Donnez, et l’on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous » (Lc 6, 37-38). Il nous est dit, d’abord, de ne pas juger, et de ne pas condamner. Si l’on ne veut pas être exposé au jugement de Dieu, personne ne doit devenir juge de son frère. De fait, en jugeant, les hommes s’arrêtent à ce qui est superficiel, tandis que le Père regarde les coeurs. Que de mal les paroles ne font-elles pas lorsqu’elles sont animées par des sentiments de jalousie ou d’envie ! Mal parler du frère en son absence, c’est le mettre sous un faux jour, c’est compromettre sa réputation et l’abandonner aux ragots. Ne pas juger et ne pas condamner signifie, de façon positive, savoir accueillir ce qu’il y a de bon en toute personne et ne pas permettre quelle ait à souffrir de notre jugement partiel et de notre prétention à tout savoir. Ceci n’est pas encore suffisant pour exprimer ce qu’est la miséricorde. Jésus demande aussi de pardonner et de donner, d’être instruments du pardon puisque nous l’avons déjà reçu de Dieu, d’être généreux à l’égard de tous en sachant que Dieu étend aussi sa bonté pour nous avec grande magnanimité.

Miséricordieux comme le Père, c’est donc la “devise de l’Année Sainte. Dans la miséricorde, nous avons la preuve de la façon dont Dieu aime. Il se donne tout entier, pour toujours, gratuitement, et sans rien demander en retour. Il vient à notre secours lorsque nous l’invoquons. Il est beau que la prière quotidienne de l’Eglise commence avec ces paroles : « Mon Dieu, viens me délivrer ; Seigneur, viens vite à mon secours » (Ps 69, 2). L’aide que nous implorons est déjà le premier pas de la miséricorde de Dieu à notre égard. Il vient nous sauver de la condition de faiblesse dans laquelle nous vivons. Son aide consiste à rendre accessible sa présence et sa proximité. Touchés jour après jour par sa compassion, nous pouvons nous aussi devenir compatissants envers tous.

15. Au cours de cette Année Sainte, nous pourrons faire l’expérience d’ouvrir le cœur à ceux qui vivent dans les périphéries existentielles les plus différentes, que le monde moderne a souvent créées de façon dramatique. Combien de situations de précarité et de souffrance n’existent-elles pas dans le monde d’aujourd’hui ! Combien de blessures ne sont-elles pas imprimées dans la chair de ceux qui n’ont plus de voix parce que leur cri s’est évanoui et s’est tu à cause de l’indifférence des peuples riches ! Au cours de ce Jubilé, l’Eglise sera encore davantage appelée à soigner ces blessures, à les soulager avec l’huile de la consolation, à les panser avec la miséricorde et à les soigner par la solidarité et l’attention. Ne tombons pas dans l’indifférence qui humilie, dans l’habitude qui anesthésie l’âme et empêche de découvrir la nouveauté, dans le cynisme destructeur. Ouvrons nos yeux pour voir les misères du monde, les blessures de tant de frères et soeurs privés de dignité, et sentons-nous appelés à entendre leur cri qui appelle à l’aide. Que nos mains serrent leurs mains et les attirent vers nous afin qu’ils sentent la chaleur de notre présence, de l’amitié et de la fraternité. Que leur cri devienne le nôtre et qu’ensemble, nous puissions briser la barrière d’indifférence qui règne souvent en souveraine pour cacher l’hypocrisie et l’égoïsme.

J’ai un grand désir que le peuple chrétien réfléchisse durant le Jubilé sur les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles. Ce sera une façon de réveiller notre conscience souvent endormie face au drame de la pauvreté, et de pénétrer toujours davantage le cœur de l’Evangile, où les pauvres sont les destinataires privilégiés de la miséricorde divine. La prédication de Jésus nous dresse le tableau de ces œuvres de miséricorde, pour que nous puissions comprendre si nous vivons, oui ou non, comme ses disciples. Redécouvrons les œuvres de miséricorde corporelles : donner à manger aux affamés, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, accueillir les étrangers, assister les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts. Et n’oublions pas les œuvres de miséricorde spirituelles : conseiller ceux qui sont dans le doute, enseigner les ignorants, avertir les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses, supporter patiemment les personnes ennuyeuses, prier Dieu pour les vivants et pour les morts.

Nous ne pouvons pas échapper aux paroles du Seigneur et c’est sur elles que nous serons jugés : aurons-nous donné à manger à qui a faim et à boire à qui a soif ? Aurons-nous accueilli l’étranger et vêtu celui qui était nu ? Aurons-nous pris le temps de demeurer auprès de celui qui est malade et prisonnier ? (cf. Mt 25, 31-45). De même, il nous sera demandé si nous avons aidé à sortir du doute qui engendre la peur, et bien souvent la solitude; si nous avons été capable de vaincre l’ignorance dans laquelle vivent des millions de personnes, surtout des enfants privés de l’aide nécessaire pour être libérés de la pauvreté, si nous nous sommes fait proches de celui qui est seul et affligé; si nous avons pardonné à celui qui nous offense, si nous avons rejeté toute forme de rancœur et de haine qui porte à la violence, si nous avons été patient à l’image de Dieu qui est si patient envers nous; si enfin, nous avons confié au Seigneur, dans la prière nos frères et sœurs. C’est dans chacun de ces « plus petits » que le Christ est présent. Sa chair devient de nouveau visible en tant que corps torturé, blessé, flagellé, affamé, égaré… pour être reconnu par nous, touché et assisté avec soin. N’oublions pas les paroles de Saint Jean de la Croix : « Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour ».[12]

16. Dans l’Evangile de Luc, nous trouvons un autre aspect important pour vivre avec foi ce Jubilé. L’évangéliste raconte qu’un jour de sabbat, Jésus retourna à Nazareth, et comme il avait l’habitude de le faire, il entra dans la synagogue. On l’appela pour lire l’Ecriture et la commenter. C’était le passage du prophète Isaïe où il est écrit : « L’esprit du Seigneur Dieu est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur » (Is 61, 1-2). « Une année de bienfaits » : c’est ce que le Seigneur annonce et que nous voulons vivre. Que cette Année Sainte expose la richesse de la mission de Jésus qui résonne dans les paroles du Prophète : dire une parole et faire un geste de consolation envers les pauvres, annoncer la libération de ceux qui sont esclaves dans les nouvelles prisons de la société moderne, redonner la vue à qui n’est plus capable de voir car recroquevillé sur lui-même, redonner la dignité à ceux qui en sont privés. Que la prédication de Jésus soit de nouveau visible dans les réponses de foi que les chrétiens sont amenés à donner par leur témoignage. Que les paroles de l’Apôtre nous accompagnent : « celui qui pratique la miséricorde, qu’il ait le sourire » (Rm 12, 8).

17. Puisse le Carême de cette Année Jubilaire être vécu plus intensément comme un temps fort pour célébrer et expérimenter la miséricorde de Dieu. Combien de pages de l’Ecriture peuvent être méditées pendant les semaines du Carême, pour redécouvrir le visage miséricordieux du Père ! Nous pouvons nous aussi répéter avec Michée : Toi, Seigneur, tu es un Dieu qui efface l’iniquité et pardonne le péché. De nouveau, tu nous montreras ta miséricorde, tu fouleras aux pieds nos crimes, tu jetteras au fond de la mer tous nos péchés ! (cf. 7, 18-19).

Ces pages du prophète Isaïe pourront être méditées plus concrètement en ce temps de prière, de jeûne et de charité : « Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ? Alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et tes forces reviendront vite. Devant toi marchera ta justice, et la gloire du Seigneur fermera la marche. Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : « Me voici. » Si tu fais disparaître de chez toi le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante, si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera lumière de midi. Le Seigneur sera toujours ton guide. En plein désert, il comblera tes désirs et te rendra vigueur. Tu seras comme un jardin bien irrigué, comme une source où les eaux ne manquent jamais » (Is 58, 6-11).

L’initiative appelée « 24 heures pour le Seigneur » du vendredi et samedi qui précèdent le IVème dimanche de Carême doit monter en puissance dans les diocèses. Tant de personnes se sont de nouveau approchées du sacrement de Réconciliation, et parmi elles de nombreux jeunes, qui retrouvent ainsi le chemin pour revenir au Seigneur, pour vivre un moment de prière intense, et redécouvrir le sens de leur vie. Avec conviction, remettons au centre le sacrement de la Réconciliation, puisqu’il donne à toucher de nos mains la grandeur de la miséricorde. Pour chaque pénitent, ce sera une source d’une véritable paix intérieure.

Je ne me lasserai jamais d’insister pour que les confesseurs soient un véritable signe de la miséricorde du Père. On ne s’improvise pas confesseur. On le devient en se faisant d’abord pénitent en quête de pardon. N’oublions jamais qu’être confesseur, c’est participer à la mission de Jésus d’être signe concret de la continuité d’un amour divin qui pardonne et qui sauve. Chacun de nous a reçu le don de l’Esprit Saint pour le pardon des péchés, nous en sommes responsables. Nul d’entre nous n’est maître du sacrement, mais un serviteur fidèle du pardon de Dieu. Chaque confesseur doit accueillir les fidèles comme le père de la parabole du fils prodigue : un père qui court à la rencontre du fils bien qu’il ait dissipé tous ses biens. Les confesseurs sont appelés à serrer sur eux ce fils repentant qui revient à la maison, et à exprimer la joie de l’avoir retrouvé. Ils ne se lasseront pas non plus d’aller vers l’autre fils resté dehors et incapable de se réjouir, pour lui faire comprendre que son jugement est sévère et injuste, et n’a pas de sens face à la miséricorde du Père qui n’a pas de limite. Ils ne poseront pas de questions impertinentes, mais comme le père de la parabole, ils interrompront le discours préparé par le fils prodigue, parce qu’ils sauront accueillir dans le cœur du pénitent l’appel à l’aide et la demande de pardon. En résumé, les confesseurs sont appelés, toujours, partout et en toutes situations, à être le signe du primat de la miséricorde.

18. Au cours du carême de cette Année Sainte, j’ai l’intention d’envoyer les Missionnaires de la Miséricorde. Ils seront le signe de la sollicitude maternelle de l’Eglise à l’égard du Peuple de Dieu, pour qu’il entre en profondeur dans la richesse de ce mystère aussi fondamental pour la foi. Ce seront des prêtres à qui j’aurai donné l’autorité pour pardonner aussi les péchés qui sont réservés au Siège Apostolique, afin de rendre explicite l’étendue de leur mandat. Ils seront surtout signe vivant de la façon dont le Père accueille ceux qui sont à la recherche de son pardon. Ils seront des missionnaires de la miséricorde car ils se feront auprès de tous l’instrument d’une rencontre riche en humanité, source de libération, lourde de responsabilité afin de dépasser les obstacles à la reprise de la vie nouvelle du Baptême. Dans leur mission, ils se laisseront guider par la parole de l’Apôtre : « Dieu, en effet, a enfermé tous les hommes dans le refus de croire pour faire à tous miséricorde » (Rm 11, 32). De fait, tous, sans exclusion, sont invités à accueillir l’appel à la miséricorde. Que les missionnaires vivent cet appel en fixant le regard sur Jésus, « Grand-Prêtre miséricordieux et digne de foi » (He 2, 17).

Je demande à mes frères évêques d’inviter et d’accueillir ces Missionnaires, pour qu’ils soient avant tout des prédicateurs convaincants de la miséricorde. Que soient organisées dans les diocèses des « missions vers le peuple », de sorte que ces Missionnaires soient les hérauts de la joie du pardon. Qu’ils célèbrent le sacrement de la Réconciliation pour le peuple, pour que le temps de grâce de l’Année Jubilaire permette à de nombreux fils éloignés de retrouver le chemin de la maison paternelle. Que les pasteurs, spécialement pendant le temps fort du Carême, soient invités à appeler les fidèles à s’approcher « vers le Trône de la grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir la grâce de son secours » (He 4, 16).

19. Que puisse parvenir à tous la parole de pardon et que l’invitation à faire l’expérience de la miséricorde ne laisse personne indifférent ! Mon appel à la conversion s’adresse avec plus d’insistance à ceux qui se trouvent éloignés de la grâce de Dieu en raison de leur conduite de vie. Je pense en particulier aux hommes et aux femmes qui font partie d’une organisation criminelle quelle qu’elle soit. Pour votre bien, je vous demande de changer de vie. Je vous le demande au nom du Fils de Dieu qui, combattant le péché, n’a jamais rejeté aucun pécheur. Ne tombez pas dans le terrible piège qui consiste à croire que la vie ne dépend que de l’argent, et qu’à côté, le reste n’aurait ni valeur, ni dignité. Ce n’est qu’une illusion. Nous n’emportons pas notre argent dans l’au-delà. L’argent ne donne pas le vrai bonheur. La violence pour amasser de l’argent qui fait couler le sang ne rend ni puissant, ni immortel. Tôt ou tard, le jugement de Dieu viendra, auquel nul ne pourra échapper.

Le même appel s’adresse aux personnes fautives ou complices de corruption. Cette plaie puante de la société est un péché grave qui crie vers le ciel, car il mine jusqu’au fondement de la vie personnelle et sociale. La corruption empêche de regarder l’avenir avec espérance, parce que son arrogance et son avidité anéantissent les projets des faibles et chassent les plus pauvres. C’est un mal qui prend racine dans les gestes quotidiens pour s’étendre jusqu’aux scandales publics. La corruption est un acharnement dans le péché qui entend substituer à Dieu l’illusion de l’argent comme forme de pouvoir. C’est une œuvre des ténèbres, qui s’appuie sur la suspicion et l’intrigue. Corruptio optimi pessima, disait avec raison saint Grégoire le Grand, pour montrer que personne n’est exempt de cette tentation. Pour la vaincre dans la vie individuelle et sociale, il faut de la prudence, de la vigilance, de la loyauté, de la transparence, le tout en lien avec le courage de la dénonciation. Si elle n’est pas combattue ouvertement, tôt ou tard on s’en rend complice et elle détruit l’existence.

Voici le moment favorable pour changer de vie ! Voici le temps de se laisser toucher au cœur. Face au mal commis, et même aux crimes graves, voici le moment d’écouter pleurer les innocents dépouillés de leurs biens, de leur dignité, de leur affection, de leur vie même. Rester sur le chemin du mal n’est que source d’illusion et de tristesse. La vraie vie est bien autre chose. Dieu ne se lasse pas de tendre la main. Il est toujours prêt à écouter, et moi aussi je le suis, comme mes frères évêques et prêtres. Il suffit d’accueillir l’appel à la conversion et de se soumettre à la justice, tandis que l’Eglise offre la miséricorde.

20. Dans ce contexte, il n’est pas inutile de rappeler le rapport entre justice et miséricorde. Il ne s’agit pas de deux aspects contradictoires, mais de deux dimensions d’une unique réalité qui se développe progressivement jusqu’à atteindre son sommet dans la plénitude de l’amour. La justice est un concept fondamental pour la société civile, quand la référence normale est l’ordre juridique à travers lequel la loi s’applique. La justice veut que chacun reçoive ce qui lui est dû. Il est fait référence de nombreuses fois dans la Bible à la justice divine et à Dieu comme juge. On entend par là l’observance intégrale de la Loi et le comportement de tout bon israélite conformément aux commandements de Dieu. Cette vision est cependant souvent tombée dans le légalisme, déformant ainsi le sens originel et obscurcissant le sens profond de la justice. Pour dépasser cette perspective légaliste, il faut se rappeler que dans l’Ecriture, la justice est essentiellement conçue comme un abandon confiant à la volonté de Dieu.

Pour sa part, Jésus s’exprime plus souvent sur l’importance de la foi que sur l’observance de la loi. C’est en ce sens qu’il nous faut comprendre ses paroles, lorsqu’à table avec Matthieu et d’autres publicains et pécheurs, il dit aux pharisiens qui le critiquent : « Allez apprendre ce que signifie : Je veux la miséricorde, non le sacrifice. En effet, je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs » (Mt 9, 13). En face d’une vision de la justice comme simple observance de la loi qui divise entre justes et pécheurs, Jésus indique le grand don de la miséricorde qui va à la recherche des pécheurs pour leur offrir le pardon et le salut. On comprend alors pourquoi Jésus fut rejeté par les pharisiens et les docteurs de la loi, à cause de sa vision libératrice et source de renouveau. Pour être fidèles à la loi, ils posaient des poids sur les épaules des gens, rendant vaine la miséricorde du Père. Le respect de la loi ne peut faire obstacle aux exigences de la dignité humaine.

L’évocation que fait Jésus du prophète Osée – « Je veux la fidélité, non le sacrifice » (6, 6) – est très significative. Jésus affirme que la règle de vie de ses disciples devra désormais intégrer le primat de la miséricorde, comme Lui-même en a témoigné, partageant son repas avec les pécheurs. La miséricorde se révèle une nouvelle fois comme une dimension fondamentale de la mission de Jésus. Elle est un véritable défi face à ses interlocuteurs qui s’arrêtaient au respect formel de la loi. Jésus au contraire, va au-delà de la loi; son partage avec ceux que la loi considérait comme pécheurs fait comprendre jusqu’où va sa miséricorde.

L’apôtre Paul a parcouru un chemin similaire. Avant de rencontrer le Christ sur le chemin de Damas, il consacrait sa vie à observer de manière irréprochable la justice de la loi (cf. Ph 3, 6). La conversion au Christ l’amena à changer complètement de regard, au point qu’il affirme dans la Lettre aux Galates : « Nous avons cru, nous aussi, au Christ Jésus pour devenir des justes par la foi au Christ, et non par la pratique de la Loi » (2, 16). Sa compréhension de la justice change radicalement. Paul situe désormais en premier la foi, et non plus la loi. Ce n’est pas l’observance de la loi qui sauve, mais la foi en Jésus-Christ, qui par sa mort et sa résurrection, nous a donné la miséricorde qui justifie. La justice de Dieu devient désormais libération pour ceux qui sont esclaves du péché et de toutes ses conséquences. La justice de Dieu est son pardon (cf. Ps 50, 11-16).

21. La miséricorde n’est pas contraire à la justice, mais illustre le comportement de Dieu envers le pécheur, lui offrant une nouvelle possibilité de se repentir, de se convertir et de croire. Ce qu’a vécu le prophète Osée nous aide à voir le dépassement de la justice par la miséricorde. L’époque de ce prophète est parmi les plus dramatiques de l’histoire du peuple hébreu. Le Royaume est près d’être détruit ; le peuple n’est pas demeuré fidèle à l’alliance, il s’est éloigné de Dieu et a perdu la foi des Pères. Suivant une logique humaine, il est juste que Dieu pense à rejeter le peuple infidèle : il n’a pas été fidèle au pacte, et il mérite donc la peine prévue, c’est-à-dire l’exil. Les paroles du prophète l’attestent : « Il ne retournera pas au pays d’Égypte ; Assour deviendra son roi, car ils ont refusé de revenir à moi » (Os 11, 5). Cependant, après cette réaction qui se réclame de la justice, le prophète change radicalement son langage et révèle le vrai visage de Dieu : « Mon cœur se retourne contre moi ; en même temps, mes entrailles frémissent. Je n’agirai pas selon l’ardeur de ma colère, je ne détruirai plus Israël, car moi, je suis Dieu, et non pas homme : au milieu de vous je suis le Dieu saint, et je ne viens pas pour exterminer » (11, 8-9). Commentant les paroles du prophète, saint Augustin écrit : « Il est plus facile pour Dieu de retenir la colère plutôt que la miséricorde ».[13] C’est exactement ainsi. La colère de Dieu ne dure qu’un instant, et sa miséricorde est éternelle.

Si Dieu s’arrêtait à la justice, il cesserait d’être Dieu ; il serait comme tous les hommes qui invoquent le respect de la loi. La justice seule ne suffit pas et l’expérience montre que faire uniquement appel à elle risque de l’anéantir. C’est ainsi que Dieu va au-delà de la justice avec la miséricorde et le pardon. Cela ne signifie pas dévaluer la justice ou la rendre superflue, au contraire. Qui se trompe devra purger sa peine, mais ce n’est pas là le dernier mot, mais le début de la conversion, en faisant l’expérience de la tendresse du pardon. Dieu ne refuse pas la justice. Il l’intègre et la dépasse dans un événement plus grand dans lequel on fait l’expérience de l’amour, fondement d’une vraie justice. Il nous faut prêter grande attention à ce qu’écrit Paul pour ne pas faire la même erreur que l’Apôtre reproche à ses contemporains juifs : « En ne reconnaissant pas la justice qui vient de Dieu, et en cherchant à instaurer leur propre justice, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu. Car l’aboutissement de la Loi, c’est le Christ, afin que soit donnée la justice à toute personne qui croit » (Rm 10, 3-4). Cette justice de Dieu est la miséricorde accordée à tous comme une grâce venant de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ. La Croix du Christ est donc le jugement de Dieu sur chacun de nous et sur le monde, puisqu’elle nous donne la certitude de l’amour et de la vie nouvelle.

22. Le jubilé amène la réflexion sur l’indulgence. Elle revêt une importance particulière au cours de cette Année Sainte. Le pardon de Dieu pour nos péchés n’a pas de limite. Dans la mort et la résurrection de Jésus-Christ, Dieu rend manifeste cet amour qui va jusqu’à détruire le péché des hommes. Il est possible de se laisser réconcilier avec Dieu à travers le mystère pascal et la médiation de l’Eglise. Dieu est toujours prêt au pardon et ne se lasse jamais de l’offrir de façon toujours nouvelle et inattendue. Nous faisons tous l’expérience du péché. Nous sommes conscients d’être appelés à la perfection (cf. Mt 5, 48), mais nous ressentons fortement le poids du péché. Quand nous percevons la puissance de la grâce qui nous transforme, nous faisons l’expérience de la force du péché qui nous conditionne. Malgré le pardon, notre vie est marquée par les contradictions qui sont la conséquence de nos péchés. Dans le sacrement de la Réconciliation, Dieu pardonne les péchés, et ils sont réellement effacés, cependant que demeure l’empreinte négative des péchés dans nos comportements et nos pensées. La miséricorde de Dieu est cependant plus forte que ceci. Elle devient indulgence du Père qui rejoint le pécheur pardonné à travers l’Epouse du Christ, et le libère de tout ce qui reste des conséquences du péché, lui donnant d’agir avec charité, de grandir dans l’amour plutôt que de retomber dans le péché.

L’Eglise vit la communion des saints. Dans l’eucharistie, cette communion, qui est don de Dieu, est rendue présente comme une union spirituelle qui lie les croyants avec les Saints et les Bienheureux dont le nombre est incalculable (cf. Ap 7,4). Leur sainteté vient au secours de notre fragilité, et la Mère Eglise est ainsi capable, par sa prière et sa vie, d’aller à la rencontre de la faiblesse des uns avec la sainteté des autres. Vivre l’indulgence de l’Année Sainte, c’est s’approcher de la miséricorde du Père, avec la certitude que son pardon s’étend à toute la vie des croyants. L’indulgence, c’est l’expérience de la sainteté de l’Eglise qui donne à tous de prendre part au bénéfice de la rédemption du Christ, en faisant en sorte que le pardon parvienne jusqu’aux extrêmes conséquences que rejoint l’amour de Dieu. Vivons intensément le Jubilé, en demandant au Père le pardon des péchés et l’étendue de son indulgence miséricordieuse.

23. La valeur de la miséricorde dépasse les frontières de l’Eglise. Elle est le lien avec le Judaïsme et l’Islam qui la considèrent comme un des attributs les plus significatifs de Dieu. Israël a d’abord reçu cette révélation qui demeure dans l’histoire comme le point de départ d’une richesse incommensurable à offrir à toute l’humanité. Nous l’avons vu, les pages de l’Ancien Testament sont imprégnées de miséricorde, puisqu’elles racontent les oeuvres accomplies par le Seigneur en faveur de son peuple dans les moments les plus difficiles de son histoire. L’Islam de son côté, attribue au Créateur les qualificatifs de Miséricordieux et Clément. On retrouve souvent ces invocations sur les lèvres des musulmans qui se sentent accompagnés et soutenus par la miséricorde dans leur faiblesse quotidienne. Eux aussi croient que nul ne peut limiter la miséricorde divine car ses portes sont toujours ouvertes.

Que cette Année Jubilaire, vécue dans la miséricorde, favorise la rencontre avec ces religions et les autres nobles traditions religieuses. Qu’elle nous rende plus ouverts au dialogue pour mieux nous connaître et nous comprendre. Qu’elle chasse toute forme de fermeture et de mépris. Qu’elle repousse toute forme de violence et de discrimination.

24. Que notre pensée se tourne vers la Mère de la Miséricorde. Que la douceur de son regard nous accompagne en cette Année Sainte, afin que tous puissent redécouvrir la joie de la tendresse de Dieu. Personne n’a connu comme Marie la profondeur du mystère de Dieu fait homme. Sa vie entière fut modelée par la présence de la miséricorde faite chair. La Mère du Crucifié Ressuscité est entrée dans le sanctuaire de la miséricorde divine en participant intimement au mystère de son amour.

Choisie pour être la Mère du Fils de Dieu, Marie fut préparée depuis toujours par l’amour du Père pour être l’Arche de l’Allianceentre Dieu et les hommes. Elle a gardé dans son cœur la divine miséricorde en parfaite syntonie avec son Fils Jésus. Son chant de louange, au seuil de la maison d’Elisabeth, fut consacré à la miséricorde qui s’étend « d’âge en âge » (Lc 1, 50). Nous étions nous aussi présents dans ces paroles prophétiques de la Vierge Marie, et ce sera pour nous un réconfort et un soutien lorsque nous franchirons la Porte Sainte pour goûter les fruits de la miséricorde divine.

Près de la croix, Marie avec Jean, le disciple de l’amour, est témoin des paroles de pardon qui jaillissent des lèvres de Jésus. Le pardon suprême offert à qui l’a crucifié nous montre jusqu’où peut aller la miséricorde de Dieu. Marie atteste que la miséricorde du Fils de Dieu n’a pas de limite et rejoint tout un chacun sans exclure personne. Adressons lui l’antique et toujours nouvelle prière duSalve Regina, puisqu’elle ne se lasse jamais de poser sur nous un regard miséricordieux, et nous rend dignes de contempler le visage de la miséricorde, son Fils Jésus.

Que notre prière s’étende aussi à tant de Saints et de Bienheureux qui ont fait de la miséricorde la mission de leur vie. Cette pensée s’adresse en particulier à la grande apôtre de la miséricorde, Sainte Faustine Kowalska. Elle qui fut appelée à entrer dans les profondeurs de la miséricorde divine, qu’elle intercède pour nous et nous obtienne de vivre et de cheminer toujours dans le pardon de Dieu et dans l’inébranlable confiance en son amour.

25. Une Année Sainte extraordinaire pour vivre dans la vie de chaque jour la miséricorde que le Père répand sur nous depuis toujours. Au cours de ce Jubilé, laissons-nous surprendre par Dieu. Il ne se lasse jamais d’ouvrir la porte de son cœur pour répéter qu’il nous aime et qu’il veut partager sa vie avec nous. L’Eglise ressent fortement l’urgence d’annoncer la miséricorde de Dieu. La vie de l’Eglise est authentique et crédible lorsque la miséricorde est l’objet d’une annonce convaincante. Elle sait que sa mission première, surtout à notre époque toute remplie de grandes espérances et de fortes contradictions, est de faire entrer tout un chacun dans le grand mystère de la miséricorde de Dieu, en contemplant le visage du Christ. L’Eglise est d’abord appelée à être témoin véridique de la miséricorde, en la professant et en la vivant comme le centre de la Révélation de Jésus-Christ. Du cœur de la Trinité, du plus profond du mystère de Dieu, jaillit et coule sans cesse le grand fleuve de la miséricorde. Cette source ne sera jamais épuisée pour tous ceux qui s’en approcheront. Chaque fois qu’on en aura besoin, on pourra y accéder, parce que la miséricorde de Dieu est sans fin. Autant la profondeur du mystère renfermé est insondable, autant la richesse qui en découle est inépuisable.

Qu’en cette Année Jubilaire l’Eglise fasse écho à la Parole de Dieu qui résonne, forte et convaincante, comme une parole et un geste de pardon, de soutien, d’aide, d’amour. Qu’elle ne se lasse jamais d’offrir la miséricorde et soit toujours patiente pour encourager et pardonner. Que l’Eglise se fasse la voix de tout homme et de toute femme, et répète avec confiance et sans relâche : « Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse, ton amour qui est de toujours » (Ps 25, 6).

Donné à Rome, près Saint Pierre, le 11 avril

Veille du IIème Dimanche de Pâques ou de la Divine Miséricorde, de l’An du Seigneur 2015, le troisième de mon pontificat.

Franciscus


HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Basilique vaticane



« Ma main sera pour toujours avec lui, mon bras fortifiera son courage » (Ps 88, 22). C’est ainsi que pense le Seigneur quand il dit en lui-même: « J’ai trouvé David mon serviteur, je l’ai sacré avec mon huile sainte » (v.21). C’est ainsi que pense notre Père chaque fois qu’il « trouve » un prêtre. Et il ajoute encore : « Mon amour et ma fidélité sont avec lui, il me dira : tu es mon Père mon Dieu, mon roc et mon salut » (vv. 25.27).

Il est très beau d’entrer, avec le psalmiste, dans ce monologue de notre Dieu. Il parle de nous, ses prêtres, ses curés ; mais en réalité ce n’est pas un monologue, il ne parle pas seul : c’est le Père qui dit à Jésus : « Tes amis, ceux qui t’aiment, pourront me dire de manière spéciale : tu es mon Père » (cf. Gn 14, 21). Et si le Seigneur pense et se préoccupe tant de la manière dont il pourra nous aider, c’est parce qu’il sait que la charge d’oindre le peuple fidèle n’est pas facile, elle est dure ; elle nous conduit à la fatigue et à la lassitude. Nous en faisons l’expérience de multiples manières : de la fatigue habituelle du travail apostolique quotidien, à celle de la maladie et de la mort, y compris dans le fait de se consumer dans le martyre.

La fatigue des prêtres ! Savez-vous combien de fois je pense à cela : à la fatigue de vous tous ? J’y pense beaucoup et je prie souvent, surtout quand moi aussi je suis fatigué. Je prie pour vous qui travaillez au milieu du peuple fidèle de Dieu qui vous a été confié, et, pour beaucoup, en des lieux très abandonnés et dangereux. Notre fatigue, chers prêtres, est comme l’encens qui monte silencieusement vers le ciel (cf. Ps 140, 2 ; Ap 8, 3-4). Notre fatigue va droit au cœur du Père.

Soyez sûrs que la Vierge Marie se rend compte de cette fatigue, et la fait remarquer tout de suite au Seigneur. Comme Mère, elle sait comprendre quand ses fils sont fatigués et elle ne pense à rien d’autre. Elle nous dira toujours, lorsque nous venons à elle : « Bienvenue ! repose-toi, fils. Après nous parlerons… Ne suis-je pas là, moi qui suis ta Mère ? (cf. Evangelii gaudium, n. 286). Et elle dira à son Fils, comme à Cana : « Ils n’ont plus de vin » (Jn 2, 3).

Il arrive aussi que, lorsque nous ressentons le poids du travail pastoral, nous ayons la tentation de nous reposer de n’importe quelle manière, comme si le repos n’était pas une chose de Dieu. Ne tombons pas dans cette tentation. Notre fatigue est précieuse aux yeux de Jésus, qui nous accueille et nous fait relever : « Venez à moi vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, moi je vous procurerai le repos » (cf. Mt 11, 28). Quand quelqu’un sait que, mort de fatigue, il peut se prosterner en adoration et dire : « Ça suffit pour aujourd’hui, Seigneur », et se rendre devant le Père, il sait aussi qu’il ne s’effondre pas, mais qu’il se renouvelle, parce que celui qui a oint le peuple fidèle de Dieu de l’huile d’allégresse, le Seigneur l’oint également : « Il met le diadème sur sa tête au lieu de la cendre, l’huile d’allégresse au lieu des larmes, le chant au lieu d’un esprit abattu » (cf. Is 61, 3).

Ayons bien présent à l’esprit qu’une clé de la fécondité sacerdotale se trouve dans la manière dont nous nous reposons, dont nous sentons que le Seigneur s’occupe de notre fatigue. Comme il est difficile d’apprendre à se reposer ! Là se joue notre confiance, et aussi le souvenir que nous aussi nous sommes des brebis et nous avons besoin du pasteur, qui nous aide. Quelques questions à ce sujet peuvent nous aider.

Est-ce que je sais me reposer en recevant l’amour, la gratuité et toute l’affection que me donne le peuple fidèle de Dieu ? Ou bien, après le travail pastoral est-ce que je cherche des repos plus raffinés, non pas ceux des pauvres, mais ceux qu’offrent la société de consommation ? L’Esprit Saint est-il vraiment pour moi « repos dans la fatigue », ou seulement celui qui me fait travailler ? Est-ce que je sais demander l’aide de quelque prêtre sage ? Est-ce que je sais me reposer de moi-même, de mon auto-exigence, de mon autosatisfaction, de mon autoréférence ? Est-ce que je sais converser avec Jésus, avec le Père, avec la Vierge et Saint Joseph, avec mes saints amis protecteurs pour me reposer dans leurs exigences – qui sont douces et légères –, dans la satisfaction d’être avec eux – eux, ils aiment rester en ma compagnie –, et dans leurs intérêts et leurs références – seule les intéresse la plus grande gloire de Dieu – … ? Est-ce que je sais me reposer de mes ennemis sous la protection du Seigneur ? Est-ce que j’argumente et conspire en moi-même, ressassant plusieurs fois ma défense, ou est-ce que je me confie à l’Esprit Saint qui m’enseigne ce que je dois dire en toute occasion ? Est-ce que je me préoccupe et me tourmente excessivement ou, comme Paul, est-ce que je trouve le repos en disant : « Je sais en qui j’ai mis ma foi » (2 Tm 1, 12) ?

Revoyons un moment, brièvement, les engagements des prêtres, qu’aujourd’hui la liturgie nous proclame : porter aux pauvres la Bonne Nouvelle, annoncer la libération aux prisonniers et la guérison aux aveugles, donner la liberté aux opprimés et proclamer l’année de grâce du Seigneur. Isaïe dit aussi soigner ceux qui ont le cœur brisé et consoler les affligés.

Ce ne sont pas des tâches faciles, ce ne sont pas des tâches extérieures, comme le sont par exemple les activités manuelles – construire une nouvelle salle paroissiale, ou tracer les lignes d’un terrain de football pour les jeunes du patronage… ; les tâches mentionnées par Jésus engagent notre capacité de compassion, ce sont des tâches dans lesquelles le cœur est « mû » et ému. Nous nous réjouissons avec les fiancés qui se marient, nous rions avec l’enfant qu’ils font baptiser ; nous accompagnons les jeunes qui se préparent au mariage et à la famille ; nous nous affligeons avec celui qui reçoit l’onction sur un lit d’hôpital ; nous pleurons avec ceux qui enterrent une personne chère… Tant d’émotions… Si nous avons le cœur ouvert, cette émotion et tant d’affection fatiguent le cœur du pasteur. Pour nous, prêtres, les histoires de nos gens ne sont pas un bulletin d’information : nous connaissons nos gens, nous pouvons deviner ce qui se passe dans leur cœur ; et le nôtre, en souffrant avec eux, s’effiloche, se défait en mille morceaux, il est bouleversé et semble même mangé par les gens : prenez et mangez. C’est la parole que le prêtre de Jésus chuchote constamment quand il prend soin de son peuple fidèle : prenez et mangez, prenez et buvez… Et ainsi notre vie sacerdotale se donne dans le service, dans la proximité du peuple de Dieu… qui toujours, toujours fatigue.

Je voudrais maintenant partager avec vous quelques autres fatigues sur lesquelles j’ai médité.

Il y a celle que nous pouvons appeler « la fatigue des gens, la fatigue des foules » : pour le Seigneur, comme pour nous, elle était épuisante – l’Évangile le dit –, mais c’est une bonne fatigue, une fatigue pleine de fruits et de joie. Les gens qui le suivaient, les familles qui lui portaient leurs enfants pour qu’il les bénisse, ceux qui avaient été guéris, qui venaient avec leurs amis, les jeunes qui s’enthousiasmaient pour le Rabbi…, ne lui laissaient même pas le temps de manger. Mais le Seigneur ne se fatiguait pas de rester avec les gens. Au contraire : il semble que cela le remontait. (cf. Evangellii gaudium, n. 11). Cette fatigue au milieu de notre activité est, en général, une grâce qui est à portée de main de nous tous, prêtres (cf. ibid., n. 279). C’est vraiment une belle chose : les gens aiment, désirent et ont besoin de leurs pasteurs ! Le peuple fidèle ne nous laisse pas sans occupation directe, sauf si on se cache dans un bureau ou si on part en ville avec des verres teintés. Et cette fatigue est bonne, c’est une fatigue saine. C’est la fatigue du prêtre avec l’odeur de ses brebis…, mais avec le sourire de papa qui contemple ses enfants et ses petits enfants. Rien à voir avec ceux qui sentent des parfums chers et qui te regardent de loin et de haut (cf. ibid., n. 97). Nous sommes les amis de l’Époux, c’est là notre joie. Si Jésus fait paître le troupeau au milieu de nous, nous ne pouvons pas être des pasteurs au visage acide, qui se lamentent, ni, ce qui est pire, des pasteurs qui s’ennuient. Odeur des brebis et sourire de pères… Oui, très fatigués, mais avec la joie de celui qui écoute son Seigneur qui dit : « Venez les bénis de mon Père » (Mt 25, 34).

Il y a aussi la fatigue que nous pouvons appeler « la fatigue des ennemis ». Le démon et ses adeptes ne dorment pas ; et comme leurs oreilles ne supportent pas la Parole de Dieu, ils travaillent inlassablement pour la faire taire ou la troubler. Ici la fatigue de les affronter est plus dure. Non seulement il s’agit de faire le bien, avec toute la peine que cela comporte, mais il faut aussi défendre le troupeau et se défendre soi-même du mal (cf. Evangelii gaudium, n. 83). Le malin est plus astucieux que nous, et il est capable de démolir en un moment ce que nous avons construit avec patience durant beaucoup de temps. Il est nécessaire ici de demander la grâce d’apprendre à neutraliser – c’est une habitude importante : apprendre à neutraliser ‑: neutraliser le mal, ne pas arracher l’ivraie, ne pas prétendre défendre comme des surhommes ce que seul le Seigneur doit défendre. Tout cela aide à ne pas baisser les bras devant l’épaisseur de l’iniquité, devant la dérision des méchants. La parole du Seigneur pour ces situations de fatigue est : « Ayez courage, j’ai vaincu le monde !» (Jn 16, 33). Et cette parole nous donnera de la force.

Et une dernière – dernière pour que cette homélie ne vous fatigue pas trop – il y a aussi « la fatigue de soi-même » (cf. Evangelii gaudium, n. 277). C’est peut-être la plus dangereuse. Parce que les deux autres proviennent du fait d’être exposé, de sortir de nous même pour oindre et nous donner quelque chose à faire (nous sommes ceux qui prenons soin). En revanche, cette fatigue est plus autoréférentielle : c’est la déception de soi-même, mais pas regardée en face, avec la sérénité joyeuse de celui qui se découvre pécheur et qui a besoin de pardon, d’aide : celui-là demande de l’aide et va de l’avant. Il s’agit de la fatigue qui porte à « vouloir et ne pas vouloir », le fait de tout risquer et ensuite de regretter l’ail et les oignons d’Égypte, de jouer avec l’illusion d’être autre chose. J’aime appeler cette fatigue « minauder avec la mondanité spirituelle ». Et quand on reste seul, on s’aperçoit que beaucoup de secteurs de la vie ont été imprégnés de cette mondanité, et on a même l’impression qu’aucun bain ne peut la nettoyer. Il peut y avoir là pour nous une mauvaise fatigue. La parole de l’Apocalypse nous indique la cause de cette fatigue : « Tu ne manques pas de persévérance, et tu as tant supporté pour mon nom, sans ménager ta peine. Mais j’ai contre toi que ton premier amour, tu l’as abandonné » (2, 3-4). Seul l’amour donne du repos. Celui qui ne s’aime pas se fatigue mal, et à la longue, se fatigue plus mal.

L’image la plus profonde et mystérieuse de la manière dont le Seigneur s’occupe de notre fatigue pastorale est celle de celui qui « ayant aimé les siens…, les aima jusqu’à la fin » (Jn 13, 1) : la scène du lavement des pieds. J’aime la contempler comme lavement de la sequela. Le Seigneur purifie la sequela elle-même, il s’implique avec nous (Evanglii gaudium, n. 24), il se charge le premier de nettoyer toute tache, ce smog mondain et onctueux qui s’est collé durant le chemin que nous avons fait en son Nom.

Nous savons que l’on peut voir dans les pieds comment va tout notre corps. Dans la manière de suivre le Seigneur se manifeste comment va notre cœur. Les plaies des pieds, les déboitements et la fatigue sont des signes de la manière dont nous l’avons suivi, de ces routes que nous avons faites pour chercher ses brebis perdues, en essayant de conduire le troupeau vers les verts pâturages et les eaux tranquilles (cf. ibid., n. 270). Le Seigneur nous lave et nous purifie de tout ce qui s’est accumulé sous nos pieds pour le suivre. Et c’est sacré. Il ne permet pas qu’ils restent sales. Il les embrasse comme des blessures de guerre, de sorte que la saleté du travail, c’est lui qui la nettoie.

La sequela de Jésus est lavée par le Seigneur lui-même pour que nous nous sentions en droit d’être « joyeux », « remplis », « sans peur ni faute » et pour que nous ayons ainsi le courage de sortir et d’aller « jusqu’aux extrémités du monde, vers toutes les périphéries », porter cette bonne nouvelle aux plus abandonnés, sachant qu’ « il est avec nous, tous les jours jusqu’à la fin du monde ». Et s’il vous plaît, demandons la grâce d’apprendre à être fatigués, mais bien fatigués !

MESSAGE DU PAPE FRANÇOIS

POUR LA XXIIIe JOURNÉE MONDIALE DU MALADE

Sapientia cordis

“J’étais les yeux de l’aveugle, les pieds du boiteux” (Jb 29,15)

Chers frères et sœurs,

À l’occasion de la XXIIIème Journée mondiale du Malade, instaurée par saint Jean-Paul II, je m’adresse à vous tous qui supportez le fardeau de la maladie et êtes unis, de diverses manières, à la chair du Christ souffrant, et à vous également, professionnels et bénévoles de la santé.

Le thème de cette année nous invite à réfléchir sur une phrase du Livre de Job : « J’étais les yeux de l’aveugle, les pieds du boiteux » (29,15). Je voudrais le faire dans la perspective de la « sapientia cordis », la sagesse du cœur.

1. Cette sagesse n’est pas une connaissance théorique, abstraite, fruit de raisonnements. Elle est plutôt, comme le décrit saint Jacques dans son épître, « pure, puis pacifique, indulgente, bienveillante, pleine de pitié et de bons fruits, sans partialité, sans hypocrisie » (3,17). Elle est donc un comportement inspiré par l’Esprit Saint dans l’esprit et le cœur de celui qui sait s’ouvrir à la souffrance des frères et reconnaît en eux l’image de Dieu. Faisons donc nôtre l’invocation du psaume : « Fais-nous savoir comment compter nos jours, que nous venions de cœur à la sagesse ! » (Ps 90,12). Dans cette sapientia cordis, qui est don de Dieu, nous pouvons résumer les fruits de la Journée mondiale du Malade.

2. La sagesse du cœur veut dire servir le frère. Dans le discours de Job qui contient les paroles « j’étais les yeux de l’aveugle, les pieds du boiteux », est mise en évidence la dimension du service à ceux qui en ont besoin, de la part de l’homme juste qui jouit d’une certaine autorité et a une place importante parmi les anciens de la ville. Sa stature morale se manifeste dans le service du pauvre qui demande de l’aide, et également en prenant soin de l’orphelin et de la veuve (v. 12-13).

Que de chrétiens rendent témoignage aujourd’hui encore, non par leurs paroles mais par leur vie enracinée dans une foi authentique, d’être « les yeux de l’aveugle » et les « pieds du boiteux » ! Des personnes qui sont proches des malades ayant besoin d’une assistance permanente, d’une aide pour se laver, s’habiller, se nourrir. Ce service, surtout lorsqu’il se prolonge dans le temps, peut devenir fatigant et pénible. Il est relativement facile de servir pendant quelques jours, mais il est difficile de soigner une personne pendant des mois, voire des années, également si celle-ci n’est plus à même de remercier. Et pourtant, voilà un grand chemin de sanctification ! Dans ces moments, on peut compter de manière particulière sur la proximité du Seigneur, et on est également un soutien spécial à la mission de l’Église.

3. La sagesse du cœur, c’est être avec le frère. Le temps passé à côté du malade est un temps sacré. C’est une louange à Dieu, qui nous conforme à l’image de son Fils, qui « n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mt 20,28). Jésus lui-même a dit : « Et moi je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22,27).

Avec une foi vive, nous demandons à l’Esprit Saint de nous donner la grâce de comprendre la valeur de l’accompagnement, si souvent silencieux, qui nous conduit à consacrer du temps à ces sœurs et à ces frères qui, grâce à notre proximité et à notre affection, se sentent davantage aimés et réconfortés. En revanche, quel grand mensonge se dissimule derrière certaines expressions qui insistent tellement sur la « qualité de la vie », pour inciter à croire que les vies gravement atteintes par la maladie ne seraient pas dignes d’être vécues !

4. La sagesse du cœur, c’est la sortie de soi vers le frère. Notre monde oublie parfois la valeur spéciale du temps passé auprès du lit d’un malade, parce qu’on est harcelé par la hâte, par la frénésie de l’action, de la production et on oublie la dimension de la gratuité, de l’acte de prendre soin, de se charger de l’autre. En réalité, derrière cette attitude se dissimule souvent une foi tiède, oublieuse de cette parole du Seigneur qui déclare : « C’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40).

Voilà pourquoi je voudrais rappeler à nouveau « la priorité absolue de “la sortie de soi vers le frère” comme un des deux commandements principaux qui fondent toute norme morale et comme le signe le plus clair pour faire le discernement sur un chemin de croissance spirituelle en réponse au don absolument gratuit de Dieu » (Exhortation apostolique Evangelii gaudium, n. 179). De la nature missionnaire même de l’Église jaillissent « la charité effective pour le prochain, la compassion qui comprend, assiste et encourage » (idem).

5. La sagesse du cœur c’est être solidaire avec le frère sans le juger. La charité a besoin de temps. Du temps pour soigner les malades et du temps pour les visiter. Du temps pour être auprès d’eux comme le firent les amis de Job : « Puis, s’asseyant à terre près de lui, ils restèrent ainsi durant sept jours et sept nuits. Aucun ne lui adressa la parole, au spectacle d’une si grande douleur » (Jb 2,13). Mais les amis de Job cachaient au fond d’eux-mêmes un jugement négatif à son sujet : ils pensaient que son malheur était la punition de Dieu pour une de ses fautes. Au contraire, la véritable charité est un partage qui ne juge pas, qui ne prétend pas convertir l’autre ; elle est libérée de cette fausse humilité qui, au fond, recherche l’approbation et se complaît dans le bien accompli.

L’expérience de Job trouve sa réponse authentique uniquement dans la croix de Jésus, acte suprême de solidarité de Dieu avec nous, totalement gratuit, totalement miséricordieux. Et cette réponse d’amour au drame de la souffrance humaine, spécialement de la souffrance innocente, demeure imprimée pour toujours dans le corps du Christ ressuscité, dans ses plaies glorieuses, qui sont un scandale pour la foi mais sont également preuve de la foi (cf. Homélie pour la canonisation de Jean XXIII et de Jean-Paul II, 27 avril 2014).

De même, lorsque la maladie, la solitude et l’incapacité l’emportent sur notre vie de don, l’expérience de la souffrance peut devenir un lieu privilégié de la transmission de la grâce et une source pour acquérir et renforcer la sapientia cordis. Donc, on peut comprendre que Job, à la fin de son expérience, en s’adressant à Dieu, peut déclarer : « Je ne te connaissais que par ouï-dire, mais maintenant mes yeux t’ont vu » (42,5). Et les personnes plongées dans le mystère de la souffrance et de la douleur, accueilli dans la foi, peuvent également devenir des témoins vivant d’une foi qui permet d’habiter la souffrance elle-même, bien que l’homme, par son intelligence, ne soit pas capable de la comprendre en profondeur.

6. Je confie cette Journée mondiale du Malade à la protection maternelle de Marie, qui a accueilli dans son sein et a donné naissance à la Sagesse incarnée, Jésus-Christ, notre Seigneur.

Ô Marie, Siège de la Sagesse, intercède comme notre Mère pour tous les malades et pour ceux qui en prennent soin. Fais que, dans le service du prochain qui souffre et à travers l’expérience même de la souffrance, nous puissions accueillir et faire croître en nous la véritable sagesse du cœur.

J’accompagne cette invocation pour vous tous de ma bénédiction apostolique.

Du Vatican, le 3 Décembre 2014

Memorial de Saint François Xavier

FRANCISCUS

SOLENNITÉ DE LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Basilique vaticane


[Multimédia]

« Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi » (Is 9, 1). « L’ange du Seigneur se présenta devant eux [les pasteurs] et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière » (Lc 2, 9). C’est ainsi que la liturgie de cette sainte nuit de Noël nous présente la naissance du Sauveur : comme une lumière qui pénètre et dissout l’obscurité la plus dense. La présence du Seigneur au milieu de son peuple efface le poids de la défaite et la tristesse de l’esclavage, et instaure la joie et l’allégresse.

Nous aussi, en cette nuit sainte, nous sommes venus dans la maison de Dieu en traversant les ténèbres qui enveloppent la terre, mais guidés par la flamme de la foi qui éclaire nos pas et animés par l’espérance de trouver la ‘‘grande lumière’’. En ouvrant notre cœur, nous avons, nous aussi, la possibilité de contempler le miracle de cet enfant-soleil qui éclaircit l’horizon en surgissant d’en-haut.

L’origine des ténèbres qui enveloppent le monde se perd dans la nuit des temps. Repensons au moment obscur où a été commis le premier crime de l’humanité, quand la main de Caïn, aveuglé par la jalousie, a frappé à mort son frère Abel (cf. Gn 4, 8). Ainsi, le cours des siècles a été marqué par des violences, des guerres, la haine et des abus. Mais Dieu, qui avait placé ses propres attentes en l’homme fait à son image et à sa ressemblance, attendait. Dieu attendait. Il a attendu tellement longtemps que peut-être à un certain moment il aurait dû renoncer. Mais il ne pouvait renoncer, il ne pouvait pas se renier lui-même (cf. 2 Tm 2, 13). C’est pourquoi, il a continué à attendre avec patience face à la corruption des hommes et des peuples. La patience de Dieu, Comme il est difficile de comprendre cela : la patience de Dieu envers nous !

Au long du chemin de l’histoire, la lumière qui perce l’obscurité nous révèle que Dieu est Père et que sa patiente fidélité est plus forte que les ténèbres et la corruption. C’est en cela que consiste l’annonce de la nuit de Noël. Dieu ne connaît pas d’accès de colère et l’impatience ; il est toujours là, comme le père de la parabole du fils prodigue, dans l’attente d’entrevoir de loin le retour du fils perdu ; et chaque jour, avec patience. La patience de Dieu.

La prophétie d’Isaïe annonce l’apparition d’une immense lumière qui perce l’obscurité. Elle naît à Bethléem et elle est accueillie par les tendres mains de Marie, par l’affection de Joseph, par l’étonnement des bergers. Quand les anges ont annoncé aux bergers la naissance du Rédempteur, ils l’ont fait avec ces paroles : ‘‘Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire » (Lc 2, 12). Le ‘‘signe’’ c’est justement l’humilité de Dieu, l’humilité de Dieu portée à l’extrême ; c’est l’amour avec lequel, cette nuit, il a assumé notre fragilité, notre souffrance, nos angoisses, nos désirs et nos limites. Le message que tous attendaient, le message que tous cherchaient dans la profondeur de leur âme, n’était autre que la tendresse de Dieu : Dieu qui nous regarde avec des yeux pleins d’affection, qui accepte notre misère, Dieu amoureux de notre petitesse.

En cette sainte nuit, tandis que nous contemplons l’Enfant Jésus qui vient de naître et d’être déposé dans une mangeoire, nous sommes invités à réfléchir. Comment accueillons-nous la tendresse de Dieu ? Est-ce que je me laisse rejoindre par lui, est-ce que je me laisse embrasser, ou bien est-ce que je l’empêche de s’approcher ? ‘‘Mais je cherche le Seigneur’’ – pourrions-nous rétorquer. Toutefois, la chose la plus importante n’est pas de le chercher, mais plutôt de faire en sorte que ce soit lui qui me cherche, qui me trouve et qui me caresse avec amour. Voici la question que nous pose l’Enfant par sa seule présence : est-ce que je permets à Dieu de m’aimer ?

Et encore : avons-nous le courage d’accueillir avec tendresse les situations difficiles et les problèmes de celui qui est à côté de nous, ou bien préférons-nous les solutions impersonnelles, peut-être efficaces mais dépourvues de la chaleur de l’Évangile ? Combien le monde a besoin de tendresse aujourd’hui ! Patience de Dieu, proximité de Dieu, tendresse de Dieu.

La réponse du chrétien ne peut être différente de celle que Dieu donne à notre petitesse. La vie doit être affrontée avec bonté, avec mansuétude. Quand nous nous rendons compte que Dieu est amoureux de notre petitesse, que lui-même se fait petit pour mieux nous rencontrer, nous ne pouvons pas ne pas lui ouvrir notre cœur et le supplier : ‘‘Seigneur, aide-moi à être comme toi, donne-moi la grâce de la tendresse dans les circonstances les plus dures de la vie, donne-moi la grâce de la proximité face à toute nécessité, de la douceur dans n’importe quel conflit’’.

Chers frères et sœurs, en cette nuit sainte, contemplons la crèche : là, ‘‘le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière’’ (Is 9, 1). Les gens simples, les gens disposés à accueillir le don de Dieu, l’ont vue. Au contraire, les arrogants, les orgueilleux, ceux qui établissent les lois selon leurs propres critères personnels, ceux qui assument des attitudes de fermeture, ne l’ont pas vue. Regardons la crèche et prions, en demandant à la Vierge Mère : ‘‘ Ô Marie, montre-nous Jésus’’.



MESSE POUR LA PAIX ET LA RÉCONCILIATION

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Cathédrale de Myeong-dong (Séoul)


Chers frères et soeurs,

Mon séjour en Corée arrive à son terme et je ne peux que remercier Dieu pour les nombreuses bénédictions qu’il a accordées à ce pays bien-aimé et, de manière particulière, à l’Église en Corée. Parmi ces bénédictions, je conserve particulièrement l’expérience, vécue ensemble ces derniers jours, de la présence de nombreux jeunes pèlerins provenant de toute l’Asie. Leur amour pour Jésus et leur enthousiasme pour la diffusion de son Règne ont été une inspiration pour tous.

À présent, ma visite culmine avec cette célébration de la Messe, au cours de laquelle nous implorons de Dieu la grâce de la paix et de la réconciliation. Cette prière a une résonnance particulière dans la péninsule coréenne. La messe d’aujourd’hui est surtout et principalement une prière pour la réconciliation de cette famille coréenne. Dans l’Évangile, Jésus nous dit combien puissante est notre prière quand deux ou trois sont réunis en son nom pour demander quelque chose (cf. Mt 18, 19-20). À plus forte raison quand un peuple entier élève sa supplication pressante vers le ciel !

La première lecture présente la promesse de Dieu de restaurer dans l’unité et dans la prospérité un peuple dispersé par le malheur et la division. Pour nous, comme pour le peuple d’Israël, c’est une promesse pleine d’espérance : elle indique un avenir que, dès à présent, Dieu prépare pour nous. Cependant, cette promesse est inséparablement liée à un commandement : le commandement de revenir vers Dieu et d’obéir de tout cœur à sa loi (cf. Dt 30, 2-3). Le don divin de la réconciliation, de l’unité et de la paix est inséparablement lié à la grâce de la conversion : il s’agit d’une transformation du cœur qui peut changer le cours de notre vie et de notre société, comme individus et comme peuple.

Naturellement, au cours de cette Messe, nous écoutons cette promesse dans le contexte de l’expérience historique du peuple coréen, une expérience de division et de conflit qui dure depuis plus de soixante ans. Mais l’invitation pressante de Dieu à la conversion appelle aussi les disciples du Christ en Corée à examiner la qualité de leur contribution à la construction d’une société juste et humaine. Elle appelle chacun de vous à réfléchir sur la façon dont vous témoignez, comme individus et comme communauté, d’un engagement évangélique pour les défavorisés, pour les marginalisés, pour ceux qui n’ont pas de travail ou sont exclus de la prospérité de beaucoup. Cette invitation vous appelle, comme chrétiens et comme Coréens, à repousser avec fermeté une mentalité fondée sur la suspicion, sur l’antagonisme et sur la compétition, et à favoriser plutôt une culture façonnée par l’enseignement de l’Évangile et par les plus nobles valeurs traditionnelles du peuple coréen.

Dans l’Évangile de ce jour, Pierre demande au Seigneur : « Quand mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? ». Le Seigneur répond : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois » (Mt 18, 21-22). Ces paroles vont au cœur du message de réconciliation et de paix délivré par Jésus. En obéissant à son commandement, nous demandons quotidiennement à notre Père céleste de pardonner nos péchés, « comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé ». Si nous n’étions pas prêts à faire de même, comment pourrions-nous honnêtement prier pour la paix et la réconciliation ?

Jésus nous demande de croire que le pardon est la porte qui conduit à la réconciliation. En nous ordonnant de pardonner à nos frères sans aucune réserve, il nous demande de faire quelque chose de totalement radical, mais il nous donne aussi la grâce pour le réaliser. Ce qui, du point de vue humain, semble impossible, irréalisable, voire parfois répugnant, Jésus le rend possible et fructueux par l’infinie puissance de sa croix. La croix du Christ révèle le pouvoir qu’a Dieu de résorber toute division, de guérir toute blessure et de rétablir les liens originels de l’amour fraternel.

C’est donc le message que je vous laisse en conclusion de ma visite en Corée. Ayez confiance dans la puissance de la croix du Christ ! Accueillez la grâce réconciliatrice dans vos cœurs et partagez-la avec les autres ! Je vous demande de rendre un témoignage convaincant au message de réconciliation du Christ, dans vos maisons, dans vos communautés et dans tout domaine de la vie nationale. Je suis convaincu que, dans un esprit d’amitié et de coopération avec les autres chrétiens, avec les adeptes des autres religions et avec tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté qui ont à cœur l’avenir de la société coréenne, vous serez levain du Règne de Dieu en cette terre. Alors, nos prières pour la paix et la réconciliation monteront vers Dieu de cœurs plus purs et, par le don de sa grâce, obtiendront ce bien précieux auquel nous aspirons tous.

Prions donc pour l’émergence de nouvelles opportunités de dialogue, de rencontre et de dépassement des différences, pour une continuelle générosité à fournir l’assistance humanitaire à tous ceux qui sont dans le besoin et pour une reconnaissance toujours plus grande du fait que tous les Coréens sont frères et sœurs, membres d’une unique famille et d’un unique peuple. Ils parlent la même langue.

Avant de partir de Corée, je voudrais remercier Madame le Président Park Geun-hye, les Autorités civiles et ecclésiastiques et tous ceux qui, de quelque manière, ont aidé à rendre possible cette visite. De façon spéciale, je voudrais adresser une parole de reconnaissance personnelle aux prêtres de Corée, qui quotidiennement travaillent au service de l’Évangile et à l’édification du Peuple de Dieu dans la foi, l’espérance et la charité. Je vous demande, comme ambassadeurs du Christ et ministres de son amour de réconciliation (cf. 2 Co 5, 18-20), de continuer à construire des liens de respect, de confiance et de coopération harmonieuse dans vos paroisses, entre vous et avec vos Évêques. Votre exemple d’amour sans réserve pour le Seigneur, votre fidélité et votre dévouement dans le ministère, tout comme votre engagement charitable pour tous ceux qui sont dans le besoin, contribuent grandement à l’œuvre de réconciliation et de paix dans ce pays.

Chers frères et sœurs, Dieu nous appelle à revenir vers Lui et à écouter sa voix, promettant de nous établir sur terre dans une paix et une prospérité plus grandes que tout ce que nos ancêtres ont jamais connu. Puissent les disciples du Christ en Corée préparer l’aube de ce nouveau jour, où cette terre du matin calme jouira des plus riches bénédictions divines d’harmonie et de paix ! Amen.


MESSE EN LA SOLENNITÉ DE L'ASSOMPTION

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS


En union avec toute l’Église, nous célébrons l’Assomption de la Vierge Marie, corps et âme, dans la gloire du ciel. L’Assomption de Marie nous montre notre propre destinée comme enfants adoptifs de Dieu et membres du Corps du Christ. Comme Marie notre mère, nous sommes appelés à participer pleinement à la victoire du Seigneur sur le péché et sur la mort, et à régner avec lui dans son Royaume éternel. C’est notre vocation.

Le ‘‘grand signe’’ présenté dans la première lecture nous invite à contempler Marie intronisée dans la gloire à côté de son divin Fils. Il nous invite aussi à prendre conscience de l’avenir que, encore aujourd’hui, le Seigneur ressuscité ouvre devant nous. Traditionnellement, les Coréens célèbrent cette fête à la lumière de leur expérience historique, reconnaissant l’affectueuse intercession de Marie à l’œuvre dans l’histoire de la nation et dans la vie de son peuple.

Dans la seconde lecture de ce jour, nous avons entendu saint Paul nous dire que le Christ est le nouvel Adam, dont l’obéissance à la volonté du Père l’a emporté sur le règne du péché et de l’esclavage, et a inauguré le règne de la vie et de la liberté (cf. 1 Co 15, 24-25). La vraie liberté se trouve dans notre accueil amoureux de la volonté du Père. De Marie, pleine de grâce, nous apprenons que la liberté chrétienne est quelque chose de plus que la simple libération du péché. C’est la liberté qui ouvre à une nouvelle façon spirituelle de considérer les réalités terrestres, la liberté d’aimer Dieu ainsi que nos frères et sœurs d’un cœur pur, et de vivre dans la joyeuse espérance de la venue du Règne du Christ.

Aujourd’hui, en vénérant Marie, Reine du Ciel, nous nous tournons aussi vers elle en tant que Mère de l’Église en Corée. Nous lui demandons de nous aider à être fidèles à la liberté royale reçue le jour de notre baptême, de guider nos efforts pour transformer le monde selon le plan Dieu, et de rendre l’Église capable en ce pays d’être toujours plus pleinement un levain de son Royaume au sein de la société coréenne. Puissent les chrétiens de cette nation être une force généreuse de renouveau spirituel en chaque milieu de la société. Qu’ils combattent l’attrait du matérialisme qui étouffe les authentiques valeurs spirituelles et culturelles, ainsi que l’esprit de compétition débridée qui génère égoïsme et conflits. Qu’ils rejettent également les modèles économiques inhumains qui créent de nouvelles formes de pauvreté et marginalisent les travailleurs, ainsi que la culture de la mort qui dévalue l’image de Dieu, le Dieu de la vie, et viole la dignité de chaque homme, femme et enfant.

En tant que catholiques coréens, héritiers d’une noble tradition, vous êtes appelés à valoriser cet héritage et à le transmettre aux générations futures. Cela demande pour chacun la nécessité d’une conversion renouvelée à la Parole de Dieu et une vive sollicitude pour les pauvres, ceux qui sont dans le besoin et les personnes vulnérables au milieu de nous.

En célébrant cette fête, nous nous unissons à toute l’Église répandue à travers le monde, et nous contemplons Marie comme Mère de notre espérance. Son chant de louange nous rappelle que Dieu n’oublie jamais ses promesses de miséricorde (cf. Lc1, 54-55). Marie est celle qui est pleine de grâce parce qu’ ‘‘elle a cru en l’accomplissement de tout ce qui lui a été dit de la part du Seigneur’’ (Lc 1, 45). En elle, toutes les promesses de Dieu se sont révélées véridiques. Intronisée dans la gloire, elle nous montre que notre espérance est réelle ; dès à présent, cette espérance se présente comme ‘‘une ancre sûre et solide pour l’âme’’ (He 6, 19), là où le Christ est assis dans la gloire.

Cette espérance, chers frères et sœurs, l’espérance offerte par l’Évangile, est l’antidote à l’esprit de désespoir qui semble croître, tel un cancer dans la société qui extérieurement est nantie mais qui souvent fait l’expérience de la tristesse intérieure et du vide. À combien de nos jeunes ce désespoir a fait payer son tribut ! Puissent-ils, ces jeunes qui nous entourent ces jours-ci avec leur joie et leur confiance, n’être jamais privés de leur espérance !

Tournons-nous vers Marie, Mère de Dieu, et implorons la grâce d’être joyeux dans la liberté des enfants de Dieu, d’utiliser cette liberté avec sagesse au service de nos frères et sœurs, de vivre et d’œuvrer de façon à être des signes d’espérance, cette espérance qui trouvera son accomplissement dans le Royaume éternel, là où régner, c’est servir.

Amen

MESSE EN LA CHAPELLE DE LA DOMUS SANCTAE MARTHAE

AVEC QUELQUES VICTIMES D'ABUS SEXUELS COMMIS PAR DES MEMBRES DU CLERGÉ

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS


L’image de Pierre voyant Jésus sortir de ce terrible interrogatoire, Pierre qui croise Jésus du regard et qui pleure, cette image me vient au cœur aujourd’hui dans vos regards, dans celui de tant d’hommes et de femmes, d’enfants ; je vois le regard de Jésus et je demande la grâce de ses pleurs. La grâce que l’Église pleure et répare pour ses fils et ses filles qui ont trahi leur mission, qui ont abusé de personnes innocentes. Et aujourd’hui je vous suis reconnaissant, pour être venus jusqu’ici.

Depuis longtemps je porte en mon cœur la profonde douleur, la souffrance, si longtemps occultée, si longtemps dissimulée, avec une complicité qui n’a pas d’explication, jusqu’à ce que quelqu’un ait senti que Jésus regardait, et un autre de même, et un autre encore…et ils se décident à soutenir ce regard.

Et ces quelques uns qui ont commencé à pleurer nous ont fait prendre conscience de ce crime, de ce péché grave. C’est mon angoisse et ma douleur, le fait que quelques prêtres et évêques aient violé l’innocence de mineurs, ainsi que leur propre vocation sacerdotale, en abusant d’eux sexuellement. C’est plus que des actes condamnables. C’est comme un culte sacrilège, parce que ces enfants ont été confiés à leur charisme sacerdotal pour être conduits à Dieu, et ils les ont sacrifiés à l’idole de leur concupiscence. Ils profanent l’image même de Dieu à la ressemblance duquel nous avons été créés. L’enfance, nous le savons tous, est un trésor. Le cœur jeune, si ouvert à l’espérance, contemple les mystères de l’amour de Dieu et est disposé de façon unique à être alimenté dans la foi. Aujourd’hui le cœur de l’Église regarde les yeux de Jésus à travers ces enfants et veut pleurer. Elle demande la grâce de pleurer devant les actes détestables d’abus perpétrés contre des mineurs, des actes qui ont laissé des cicatrices pour toute la vie.

Je sais que ces blessures sont une source de profonde angoisse émotionnelle et spirituelle, souvent irrépressible. Voire, de désespoir. Beaucoup de ceux qui ont souffert cette expérience ont cherché des palliatifs dans l’addiction. D’autres ont fait l’expérience de perturbations dans les relations avec leurs parents, leurs époux et enfants. La souffrance des familles a été particulièrement grave parce que le mal provoqué par l’abus affecte ces relations vitales de la famille.

Certains ont même souffert la terrible tragédie du suicide d’un être cher. La mort de ces fils si aimés de Dieu pèse sur mon cœur et sur ma conscience, et sur celle de toute l’Église. A ces familles j’offre mes sentiments d’amour et de douleur. Jésus torturé et interrogé avec la passion de la haine est emmené à un autre endroit, et il regarde. Il regarde l’un des siens, celui-ci qui le renie, et il le fait pleurer. Demandons à Dieu cette grâce, avec celle de la réparation.

Les péchés d’abus sexuels contre des mineurs de la part du clergé ont des conséquences graves sur la foi et l’espérance en Dieu. Certains se sont accrochés à la foi tandis que, chez d’autres, la trahison et l’abandon ont érodé la foi en Dieu.

Votre présence ici parle du miracle de l’espérance qui prévaut sur l’obscurité la plus profonde. Sans aucun doute, c’est un signe de la miséricorde de Dieu que nous ayons aujourd’hui l’opportunité de nous rencontrer, d’adorer Dieu, de nous regarder dans les yeux et de chercher la grâce de la réconciliation.

Devant Dieu et son peuple, j’exprime ma douleur pour les péchés et les crimes graves d’abus sexuels commis par le clergé contre vous et, humblement, je demande pardon.

Je vous demande aussi pardon pour les péchés d’omission de la part des autorités de l’Église qui n’ont pas répondu adéquatement aux dénonciations d’abus présentées par des proches et par ceux qui ont été victimes d’abus ; cela a entraîné une souffrance supplémentaire à ceux qui ont été abusés, et a mis en danger d’autres mineurs qui étaient en situation de risque.

D’autre part, le courage que vous, et d’autres, avez montré en exposant la vérité, a été un service d’amour, portant à la lumière une terrible obscurité dans la vie de l’Église. Il n’y pas de place dans le ministère de l’Église pour ceux qui commettent ces abus, et je m’engage à ne pas tolérer le mal infligé à un mineur, par qui que ce soit, indépendamment de son état clérical. Tous les évêques doivent exercer leur service pastoral avec le plus grand soin pour assurer la protection des mineurs, et ils rendront compte de cette responsabilité.

Pour nous tous, demeure en vigueur le conseil que Jésus donne à ceux qui provoquent des scandales : la meule et la mer (cf.Mt 18, 6).

Par ailleurs, nous continuerons à être vigilants dans la préparation au sacerdoce. Je compte sur les membres de la Commission Pontificale pour la Protection des Mineurs, de tous les mineurs ; de quelque religion qu’ils soient, ils sont des fils que Dieu regarde avec amour.

Je demande ce soutien afin qu’ils m’aident à garantir que nous disposons des meilleures politiques et procédures dans l’Église universelle pour la protection des mineurs et pour la préparation du personnel de l’Église, dans la mise en application de ces politiques et procédures. Nous devons faire tout le possible pour nous assurer que de tels péchés ne se produisent pas dans l’Église.

Frères et sœurs, étant tous membres de la Famille de Dieu, nous sommes appelés à entrer dans la dynamique de la miséricorde. Le Seigneur Jésus, notre Sauveur, est l’exemple suprême, l’innocent qui a pris sur la Croix nos péchés ; nous réconcilier est l’essence même de notre identité commune comme disciples de Jésus-Christ. En nous tournant vers Lui, accompagnés de Notre Très Sainte Mère au pied de la Croix, nous cherchons la grâce de la réconciliation avec tout le Peuple de Dieu. La douce intercession de Notre Dame de la Tendre Miséricorde est une source inépuisable d’aide dans notre parcours de guérison.

Avec tous ceux qui ont souffert des abus de la part du clergé, vous êtes aimés de Dieu. Je prie pour que les restes de l’obscurité dans laquelle vous avez été plongés, soient dissipés par le bras de l’Enfant Jésus, et qu’au mal qui vous a été fait succèdent une foi et une joie restaurées.

Je remercie pour cette rencontre. Et, s’il vous plaît, priez pour moi, pour que les yeux de mon cœur voient toujours clairement le chemin de l’amour miséricordieux, et que Dieu m’accorde le courage de poursuivre ce chemin pour le bien des mineurs. Jésus sort d’un jugement injuste, d’un interrogatoire cruel et il regarde Pierre dans les yeux, et Pierre pleure. Demandons qu’il nous regarde, qu’il ne cesse pas de nous regarder, que nous pleurions et qu’il nous donne la grâce de la honte afin que, comme Pierre, quarante jours après nous pussions lui répondre : ‘‘Tu sais que je t’aime’’ et entendre sa voix : ‘‘Retourne sur ton chemin et pais mes brebis’’, et j’ajoute « et ne permets à aucun loup de s’introduire dans le troupeau’’.

MESSE EN LA SOLENNITÉ DE PENTECÔTE

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Basilique vaticane


« Tous furent alors remplis de l’Esprit Saint » (Ac 2, 4).

En parlant aux apôtres lors de la Dernière Cène, Jésus dit que, après son départ de ce monde, il leur aurait envoyé le don du Père, c’est-à-dire le Saint-Esprit (cf. Jn 15, 26). Cette promesse se réalise avec puissance le jour de la Pentecôte, quand le Saint-Esprit descend sur les disciples réunis au Cénacle. Cette effusion, bien qu’extraordinaire, n’est pas restée unique et limitée à ce moment, mais il s’agit d’un événement qui s’est renouvelé et qui se renouvelle encore. Le Christ glorifié à la droite du Père continue à réaliser sa promesse, en envoyant sur l’Église l’Esprit vivifiant, qui nous enseigne et qui nous rappelle, et qui nous fait parler.

Le Saint-Esprit nous enseigne : il est le Maître intérieur. Il nous guide sur le bon chemin, à travers les situations de la vie. Il nous enseigne la route, la voie. Pendant les premiers temps de l’Église, le christianisme était appelé « la voie » (cf. Ac 9, 2), et Jésus lui-même est la Voie. Le Saint-Esprit nous enseigne à le suivre, à marcher sur ses traces. Plus qu’un maître de doctrine, le Saint-Esprit est un maître de vie. Et le savoir, la connaissance, font certainement aussi partie de la vie, mais dans l’horizon plus vaste et harmonieux de l’existence chrétienne.

Le Saint-Esprit nous rappelle, il nous rappelle tout ce que Jésus a dit. Il est la mémoire vivante de l’Église. Et tandis qu’il nous rappelle, il nous fait comprendre les paroles du Seigneur.

Le fait de se souvenir dans l’Esprit et grâce à l’Esprit ne se réduit pas à un fait mnémonique, c’est un aspect essentiel de la présence du Christ en nous et dans son Église. L’Esprit de vérité et de charité nous rappelle tout ce que le Christ a dit, il nous fait entrer toujours plus pleinement dans le sens de ses paroles. Nous avons tous vécu cette expérience : à un moment, dans une situation quelconque, se présente une idée et ensuite une autre se relie à un passage de l’Écriture... C’est l’Esprit qui nous fait suivre cette voie : la voie de la mémoire vivante de l’Église. Et cela exige de nous une réponse : plus notre réponse est généreuse, plus les paroles de Jésus deviennent vie en nous, deviennent des attitudes, des choix, des gestes, un témoignage. L’Esprit nous rappelle substantiellement le commandement de l’amour et il nous appelle à le vivre.

Un chrétien sans mémoire n’est pas un véritable chrétien : c’est un chrétien à mi-chemin, c’est un homme ou une femme prisonnier du moment, qui ne sait pas tirer profit de son histoire, qui ne sait pas la lire et la vivre comme histoire du salut. En revanche, avec l’aide du Saint-Esprit, nous pouvons interpréter les inspirations intérieures et les événements de la vie à la lumière des paroles de Jésus. Et ainsi grandit en nous la sagesse de la mémoire, la sagesse du cœur, qui est un don de l’Esprit ! Que le Saint-Esprit ravive en nous tous la mémoire chrétienne ! Et ce jour-là, avec les apôtres, il y avait la Femme de la mémoire, celle qui depuis le début méditait toutes ces choses dans son cœur. Il y avait Marie, notre Mère. Qu’Elle nous aide sur cette route de la mémoire.

Le Saint-Esprit nous enseigne, nous rappelle, et — une autre caractéristique — nous fait parler, avec Dieu et avec les hommes. Il n’y a pas de chrétiens muets, à l’âme muette; non, il n’y a pas de place pour cela.

Il nous fait parler avec Dieu dans la prière. La prière est un don que nous recevons gratuitement; elle est un dialogue avec Lui dans le Saint-Esprit, qui prie en nous et nous permet de nous adresser à Dieu en l’appelant Père, Papa, Abbà (cf. Rm 8, 15 ;Ga 4, 4) ; et cela n’est pas seulement une « façon de parler », mais c’est la réalité, nous sommes réellement des fils de Dieu. « En effet, tous ceux qu’anime l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu » (Rm 8, 14).

Il nous fait parler dans l’acte de foi. Aucun de nous ne peut dire : « Jésus est le Seigneur » — nous l’avons entendu aujourd’hui — sans le Saint-Esprit. Et l’Esprit nous fait parler avec les hommes dans le dialogue fraternel. Il nous aide à parler aux autres en reconnaissant en eux des frères et des sœurs ; à parler avec amitié, avec tendresse, avec douceur, en comprenant les angoisses et les espérances, les tristesses et les joies des autres.

Mais il y a plus : le Saint-Esprit nous fait également parler aux autres dans la prophétie, c’est-à-dire en faisant de nous des « canaux » humbles et dociles de la Parole de Dieu. La prophétie est faite avec franchise, pour montrer ouvertement les contradictions et les injustices, mais toujours avec douceur et dans une intention constructive. Pénétrés par l’Esprit d’amour, nous pouvons être des signes et des instruments de Dieu qui aime, qui sert, qui donne la vie.

En récapitulant : le Saint-Esprit nous enseigne la voie ; il nous rappelle et nous explique les paroles de Jésus ; il nous fait prier et dire Père à Dieu, il nous fait parler aux hommes dans le dialogue fraternel et il nous fait parler dans la prophétie.

Le jour de la Pentecôte, quand les disciples « furent remplis du Saint-Esprit », ce fut le baptême de l’Église, qui naquit « en sortie », en « partance » pour annoncer à tous la Bonne Nouvelle. La Mère Église, qui part pour servir. Rappelons l’autre Mère, notre Mère qui partit promptement, pour servir. La Mère Église et la Mère Marie : toutes les deux vierges, toutes les deux mères, toutes les deux femmes. Jésus avait été péremptoire avec les apôtres : ils ne devaient pas s’éloigner de Jérusalem avant d’avoir reçu d’en-haut la force du Saint-Esprit (cf. Ac 1, 4.8). Sans Lui il n’y a pas de mission, il n’y a pas d’évangélisation. C’est pourquoi avec toute l’Église, avec notre Mère l’Église catholique nous invoquons : Viens, Saint-Esprit !

MESSE ET CANONISATION DES BIENHEUREUX JEAN XXIII ETJEAN-PAUL II

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Place Saint-Pierre

IIe Dimanche après Pâques (ou de la Divine Miséricorde), 27 avril 2014

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Au centre de ce dimanche qui conclut l’Octave de Pâques, et que saint Jean Paul II a voulu dédier à la Divine Miséricorde, il y a les plaies glorieuses de Jésus ressuscité.

Il les montre dès la première fois qu’il apparaît aux Apôtres, le soir même du jour qui suit le sabbat, le jour de la résurrection. Mais ce soir là, nous l’avons entendu, Thomas n’est pas là ; et quand les autres lui disent qu’ils ont vu le Seigneur, il répond que s’il ne voyait pas et ne touchait pas les blessures, il ne croirait pas. Huit jours après, Jésus apparut de nouveau au Cénacle, parmi les disciples, Thomas aussi était là ; il s’adresse à lui et l’invite à toucher ses plaies. Et alors cet homme sincère, cet homme habitué à vérifier en personne, s’agenouille devant Jésus et lui dit « Mon Seigneur et mon Dieu » (Jn 20,28).

Les plaies de Jésus sont un scandale pour la foi, mais elles sont aussi la vérification de la foi. C’est pourquoi dans le corps du Christ ressuscité les plaies ne disparaissent pas, elles demeurent, parce qu’elles sont le signe permanent de l’amour de Dieu pour nous, et elles sont indispensables pour croire en Dieu. Non pour croire que Dieu existe, mais pour croire que Dieu est amour, miséricorde, fidélité. Saint Pierre, reprenant Isaïe, écrit aux chrétiens : « Par ses plaies vous avez été guéris » (1P 2,24 ; Cf. Is 53,5).

Saint Jean XXIII et saint Jean Paul II ont eu le courage de regarder les plaies de Jésus, de toucher ses mains blessées et son côté transpercé. Ils n’ont pas eu honte de la chair du Christ, ils ne se sont pas scandalisés de lui, de sa croix ; ils n’ont pas eu honte de la chair du frère (Cf. Is 58,7), parce qu’en toute personne souffrante ils voyaient Jésus. Ils ont été deux hommes courageux, remplis de la liberté et du courage (parresia) du Saint Esprit, et ils ont rendu témoignage à l’Église et au monde de la bonté de Dieu, de sa miséricorde.

Il ont été des prêtres, des évêques, des papes du XXème siècle. Ils en ont connu les tragédies, mais n’en ont pas été écrasés. En eux, Dieu était plus fort ; plus forte était la foi en Jésus Christ rédempteur de l’homme et Seigneur de l’histoire ; plus forte était en eux la miséricorde de Dieu manifestée par les cinq plaies ; plus forte était la proximité maternelle de Marie.

En ces deux hommes, contemplatifs des plaies du Christ et témoins de sa miséricorde, demeurait une « vivante espérance », avec une « joie indicible et glorieuse» (1P 1,3.8). L’espérance et la joie que le Christ ressuscité donne à ses disciples, et dont rien ni personne ne peut les priver. L’espérance et la joie pascales, passées à travers le creuset du dépouillement, du fait de se vider de tout, de la proximité avec les pécheurs jusqu’à l’extrême, jusqu’à l’écœurement pour l’amertume de ce calice. Ce sont l’espérance et la joie que les deux saints Papes ont reçues en don du Seigneur ressuscité, qui à leur tour les ont données au peuple de Dieu, recevant en retour une éternelle reconnaissance.

Cette espérance et cette joie se respiraient dans la première communauté des croyants, à Jérusalem, dont parlent les Actes des Apôtres (Cf. 2, 42-47), que nous avons entendus en seconde lecture. C’est une communauté dans laquelle se vit l’essentiel de l’Évangile, c'est-à-dire l’amour, la miséricorde, dans la simplicité et la fraternité.

C’est l’image de l’Église que le Concile Vatican II a eu devant lui. Jean XXIII et Jean Paul II ont collaboré avec le Saint Esprit pour restaurer et actualiser l’Église selon sa physionomie d’origine, la physionomie que lui ont donnée les saints au cours des siècles. N’oublions pas que ce sont, justement, les saints qui vont de l’avant et font grandir l’Église. Dans la convocation du Concile, saint Jean XXIII a montré une délicate docilité à l’Esprit Saint, il s’est laissé conduire et a été pour l’Église un pasteur, un guide-guidé, guidé par l’Esprit. Cela a été le grand service qu’il a rendu à l’Église. C’est pourquoi j’aime penser à lui comme le Pape de la docilité à l’Esprit Saint.

Dans ce service du Peuple de Dieu, saint Jean Paul II a été le Pape de la famille. Lui-même a dit un jour qu’il aurait voulu qu’on se souvienne de lui comme du Pape de la famille. Cela me plaît de le souligner alors que nous vivons un chemin synodal sur la famille et avec les familles, un chemin que, du Ciel, certainement, il accompagne et soutient.

Que ces deux nouveaux saints Pasteurs du Peuple de Dieu intercèdent pour l’Église, afin que, durant ces deux années de chemin synodal, elle soit docile au Saint Esprit dans son service pastoral de la famille. Qu’ils nous apprennent à ne pas nous scandaliser des plaies du Christ, et à entrer dans le mystère de la miséricorde divine qui toujours espère, toujours pardonne, parce qu’elle aime toujours.




VEILLÉE PASCALE

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Basilique vaticane




L’évangile de la résurrection de Jésus Christ commence par la marche des femmes vers le sépulcre, à l’aube du jour qui suit le sabbat. Elles vont au tombeau, pour honorer le corps du Seigneur, mais elles le trouvent ouvert et vide. Un ange puissant leur dit : « Vous, soyez sans crainte ! » (Mt 28, 5), et il leur demande d’aller porter la nouvelle aux disciples : « Il est ressuscité d’entre les morts ; il vous précède en Galilée » (v. 7). Vite, les femmes courent, et le long du chemin, Jésus lui-même vient à leur rencontre et dit : « Soyez sans crainte, allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront » (v. 10). “N’ayez pas peur”, “soyez sans crainte”: c’est une voix qui encourage à ouvrir le cœur pour recevoir cette annonce.

Après la mort du Maître ; les disciples s’étaient dispersés ; leur foi s’était brisée, tout semblait fini, les certitudes écroulées, les espérances éteintes. Mais maintenant, cette annonce des femmes, bien qu’incroyable, arrivait comme un rayon de lumière dans l’obscurité. La nouvelle se répand : Jésus est ressuscité ; comme il avait prédit… Et aussi cet ordre d’aller en Galilée ; par deux fois les femmes l’avaient entendu, d’abord de l’ange, puis de Jésus lui-même : « Qu’ils aillent en Galilée, là ils me verront ». “Soyez sans crainte” et “allez en Galilée”.

La Galilée est le lieu du premier appel, où tout avait commencé ! Revenir là, revenir au lieu du premier appel. Sur la rive du lac, Jésus était passé, tandis que les pécheurs étaient en train de réparer leurs filets. Il les avait appelés, et eux avaient tout laissé et l’avaient suivi (cf. Mt 4, 18-22).

Revenir en Galilée veut dire tout relire à partir de la croix et de la victoire ; sans peur, “soyez sans crainte”. Tout relire – la prédication, les miracles, la nouvelle communauté, les enthousiasmes et les défections, jusqu’à la trahison – tout relire à partir de la fin, qui est un nouveau commencement,à partir de ce suprême acte d’amour.

Pour chacun de nous aussi, il y a une “Galilée” à l’origine de la marche avec Jésus. “Aller en Galilée” signifie quelque chose de beau, cela signifie pour nous redécouvrir notre Baptême comme source vive, puiser une énergie nouvelle à la racine de notre foi et de notre expérience chrétienne. Revenir en Galilée signifie surtout revenir là, à ce point incandescent où la grâce de Dieu m’a touché au début du chemin. C’est à cette étincelle que je puis allumer le feu pour l’aujourd’hui, pour chaque jour, et porter chaleur et lumière à mes frères et à mes sœurs. À cette étincelle s’allume une joie humble, une joie qui n’offense pas la douleur et le désespoir, une joie bonne et douce.

Dans la vie du chrétien, après le Baptême, il y a aussi une autre “Galilée”, une “Galilée” plus existentielle : l’expérience de la rencontre personnelle avec Jésus Christ, qui m’a appelé à le suivre et à participer à sa mission. En ce sens, retourner en Galilée signifie garder au cœur la mémoire vivante de cet appel, quand Jésus est passé sur ma route, m’a regardé avec miséricorde, m’a demandé de le suivre ; retourner en Galilée signifie retrouver la mémoire de ce moment où ses yeux ont croisé les miens, le moment où il m’a fait sentir qu’il m’aimait.

Aujourd’hui, en cette nuit, chacun de nous peut se demander : quelle est ma Galilée ? Il s’agit de faire mémoire, de retourner en arrière par le souvenir. Où est ma Galilée ? Est-ce que je m’en souviens ? L’ai-je oubliée ? Cherche-la et tu la trouveras ! Là, le Seigneur t’attend. Je suis allé par des routes et des sentiers qui me l’ont fait oublier. Seigneur, aide-moi : dis-moi quelle est ma Galilée ; tu sais, je veux y retourner pour te rencontrer et me laisser embrasser par ta miséricorde. N’ayez pas peur, soyez sans crainte, retournez en Galilée !

L’évangile est clair : il faut y retourner, pour voir Jésus ressuscité, et devenir témoins de sa résurrection. Ce n’est pas un retour en arrière, ce n’est pas une nostalgie. C’est revenir au premier amour, pour recevoir le feu que Jésus a allumé dans le monde, et le porter à tous, jusqu’aux confins de la terre. Retourner en Galilée sans peur.

« Galilée des gentils » (Mt 4, 15 ; Is 8, 23) : horizon du Ressuscité, horizon de l’Église ; désir intense de rencontre… Mettons-nous en chemin !

VISITE PASTORALE À LA PAROISSE ROMAINE

SAINTE-MARIE DE L'ORAISON

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS


Dans l’oraison au début de la Messe, nous avons demandé au Seigneur deux grâces : « écouter ton Fils bien-aimé », pour que notre foi soit nourrie de la Parole de Dieu, et — l’autre grâce — « purifier les yeux de notre esprit, pour que nous puissions jouir un jour de la vision de la gloire ». Écouter, la grâce d’écouter, et la grâce de purifier nos yeux. Cela est justement en lien avec l’Évangile que nous venons d’entendre. Lorsque le Seigneur se transfigure devant Pierre, Jacques et Jean, ils entendent la voix du Père, qui dit : « Celui-ci est mon Fils ! Écoutez-le ! ». La grâce d’écouter Jésus. Pourquoi ? Pour nourrir notre foi avec la Parole de Dieu. Et cela est la tâche du chrétien. Quelles sont les tâches du chrétien ? Peut-être me direz-vous : aller à la Messe le dimanche ; faire jeûne et abstinence pendant la Semaine Sainte ; faire ceci... Mais la première tâche du chrétien est d’écouter la Parole de Dieu, écouter Jésus, parce qu’il nous parle et il nous sauve avec sa Parole. Et avec cette Parole, il rend aussi notre foi plus robuste, plus forte. Écouter Jésus ! « Mais, mon Père, moi j’écoute Jésus, je l’écoute beaucoup ! ». « Oui ? Et qu’écoutes-tu ? ». « J’écoute la radio, j’écoute la télévision, j’écoute les commérages des personnes... ». Nous écoutons beaucoup de choses pendant la journée, beaucoup de choses... Mais je vous pose une question : prenons-nous un peu de temps, chaque jour, pour écouter Jésus, pour écouter la Parole de Jésus ? À la maison, avons-nous l’Évangile ? Et chaque jour écoutons-nous Jésus dans l’Évangile, lisons-nous un passage de l’Évangile ? Ou cela nous fait-il peur, ou bien n’en avons-nous pas l’habitude ? Écouter la Parole de Jésus pour nous nourrir ! Cela signifie que la Parole de Jésus est le repas le meilleur pour l’âme : il nourrit notre âme, il nourrit notre foi ! Moi je vous suggère aussi d’avoir un petit Évangile, tout petit, à porter dans votre poche, votre sac et quand nous avons un peu de temps, dans le bus peut-être... quand c’est possible dans le bus, parce que souvent dans le bus nous sommes un peu obligés de garder l’équilibre et aussi de défendre nos poches, non ?... Mais quand tu es assis, ici ou là, tu peux lire, même pendant la journée, prendre l’Évangile et lire deux petits mots. L’Évangile toujours avec nous ! De certains martyrs des premiers temps on disait — sainte Cécile par exemple — qu’ils emportaient toujours l’Évangile avec eux : ils emportaient l’Évangile ; elle, Cécile, emportait l’Évangile. Parce que c’est vraiment notre premier repas, c’est la Parole de Jésus, celle qui nourrit notre foi.

Et puis la deuxième grâce que nous avons demandée est la grâce de la purification des yeux, des yeux de notre esprit, pour préparer les yeux de l’esprit à la vie éternelle. Purifier nos yeux ! Je suis invité à écouter Jésus et Jésus se manifeste et avec sa Transfiguration il nous invite à le regarder. Et regarder Jésus purifie nos yeux et les prépare à la vie éternelle, à la vision du Ciel. Peut-être nos yeux sont-ils un peu malades parce que nous voyons tant de choses qui ne sont pas de Jésus, qui sont même contre Jésus : des choses du monde, des choses qui ne font pas de bien à la lumière de l’âme. Et ainsi, cette lumière s’éteint lentement et sans le savoir nous finissons dans l’obscurité intérieure, dans l’obscurité spirituelle, dans l’obscurité de la foi : une obscurité parce que nous ne sommes pas habitués à regarder, à imaginer les choses de Jésus. Voilà ce que nous avons demandé aujourd’hui au Père, qu’il nous enseigne à écouter Jésus et à regarder Jésus. Écouter sa Parole, et pensez à ce que je vous disais de l’Évangile : c’est très important ! Et regarder : quand je lis l’Évangile imaginer et regarder comment était Jésus, comment il faisait les choses. Et ainsi notre intelligence, notre cœur progressent sur le chemin de l’espérance, où le Seigneur nous place, comme nous avons entendu qu’il a fait avec notre père Abraham. Rappelez-vous toujours : écouter Jésus pour rendre notre foi plus forte ; regarder Jésus, pour préparer nos yeux à la belle vision de son visage, où nous tous — puisse le Seigneur nous en donner la grâce — nous nous retrouverons pour une Messe sans fin. Ainsi soit-il.

MESSE, BÉNÉDICTION ET IMPOSITION DES CENDRES

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS


« Déchirez votre cœur, et non vos vêtements » (Jl 2, 13).

Avec ces paroles pénétrantes du prophète Joël, la liturgie nous introduit aujourd’hui dans le Carême, en indiquant dans la conversion du cœur la caractéristique de ce temps de grâce. L’appel prophétique constitue un défi pour nous tous, sans exclure personne, et nous rappelle que la conversion ne se réduit pas à des formes extérieures ou à de vagues intentions, mais touche et transforme l’existence tout entière à partir du centre de la personne, de la conscience. Nous sommes invités à entreprendre un chemin sur lequel, défiant la routine, nous nous efforçons d’ouvrir les yeux et les oreilles, mais surtout d’ouvrir le cœur, pour aller au-delà de notre « petit jardin ».

S’ouvrir à Dieu et aux frères. Nous savons que nous vivons cela dans un monde toujours plus artificiel, qui nous fait vivre dans une culture du « faire », de l’ « utile », où sans nous en rendre compte, nous excluons Dieu de notre horizon. Mais nous excluons également l’horizon lui-même ! Le Carême nous invite à nous « réveiller », à nous rappeler que nous sommes des créatures, que nous ne sommes tout simplement pas Dieu. Lorsque je vois dans mon petit milieu quotidien, certaines luttes de pouvoir pour occuper des espaces, je pense : ces gens jouent au Dieu créateur. Ils n’ont pas encore réalisé qu’ils ne sont pas Dieu.

Et nous risquons de nous fermer également à l’égard des autres, de les oublier. Mais ce n’est que lorsque les difficultés et les souffrances de nos frères nous interpellent, ce n’est qu’alors que nous pouvons commencer notre chemin de conversion vers Pâques. Il s’agit d’un itinéraire qui comporte la croix et le renoncement. L’Évangile d’aujourd’hui indique les éléments de ce chemin spirituel : la prière, le jeûne et l’aumône (cf. Mt 6, 1-6.16-18). Tous les trois comportent la nécessité de ne pas se faire dominer par les choses qui apparaissent: ce qui compte n’est pas l’apparence ; la valeur de la vie ne dépend pas de l’approbation des autres ou du succès, mais de ce que nous avons à l’intérieur.

Le premier élément est la prière. La prière est la force du chrétien et de toute personne croyante. Dans la faiblesse et dans la fragilité de notre vie, nous pouvons nous adresser à Dieu avec une confiance de fils et entrer en communion avec Lui. Face à tant de blessures qui nous font mal et qui pourraient endurcir notre cœur, nous sommes appelés à plonger dans la mer de la prière, qui est la mer de l’amour infini de Dieu, pour goûter sa tendresse. Le Carême est un temps de prière, de prière plus intense, plus prolongée, plus assidue, plus capable de se charger des nécessités de nos frères; une prière d’intercession, pour intercéder devant Dieu pour les nombreuses situations de pauvreté et de souffrance.

Le deuxième élément qui distingue le chemin quadragésimal est le jeûne. Nous devons être attentifs à ne pas pratiquer un jeûne formel, ou qui en vérité nous « rassasie » car il nous fait sentir en règle. Le jeûne a un sens s’il touche vraiment notre sécurité, et également s’il en ressort un bénéfice pour les autres, s’il nous aide à cultiver le style du Bon Samaritain, qui se penche sur son frère en difficulté et prend soin de lui. Le jeûne comporte le choix d’une vie sobre, dans son style ; une vie qui ne gaspille pas, une vie qui ne « met pas au rebut ». Jeûner nous aide à entraîner notre cœur à l’essentiel et au partage. C’est un signe de prise de conscience et de responsabilité face aux injustices, aux abus, en particulier à l’égard des pauvres et des petits, et c’est le signe de la confiance que nous plaçons en Dieu et dans sa Providence.

Le troisième élément est l’aumône : celle-ci indique la gratuité, car dans l’aumône on donne à quelqu’un dont on n’attend pas de recevoir quelque chose en échange. La gratuité devrait être l’une des caractéristiques du chrétien, qui, conscient d’avoir tout reçu de Dieu gratuitement, c’est-à-dire sans aucun mérite, apprend à donner aux autres gratuitement. Aujourd’hui, souvent, la gratuité ne fait pas partie de la vie quotidienne, où tout se vend et s’achète. Tout est calcul et mesure. L’aumône nous aide à vivre la gratuité du don, qui est la libération de l’obsession de la possession, de la peur de perdre ce que l’on a, de la tristesse de celui qui ne veut pas partager avec les autres son propre bien-être.

Avec ses invitations à la conversion, le Carême vient de manière providentielle nous réveiller, nous secouer de notre torpeur, du risque d’aller de l’avant par inertie. L’exhortation que le Seigneur nous adresse à travers le prophète Joël est puissante et claire : « Revenez à moi de tout votre cœur » (Jl 2, 12). Pourquoi devons-nous revenir à Dieu ? Parce que quelque chose ne va pas bien en nous, ne va pas bien dans la société, dans l’Église et que nous avons besoin de changer, de prendre un tournant. Et cela s’appelle avoir besoin de nous convertir ! Encore une fois, le Carême vient nous adresser son appel prophétique, pour nous rappeler qu’il est possible de réaliser quelque chose de nouveau en nous-mêmes et autour de nous, simplement parce que Dieu est fidèle, il est toujours fidèle, car il ne peut pas se renier lui-même, il continue à être riche de bonté et de miséricorde, et il est toujours prêt à pardonner et à recommencer depuis le début. Avec cette confiance filiale, mettons-nous en chemin !

MESSE AVEC LES NOUVEAUX CARDINAUX

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS


« Que ton aide, Père miséricordieux, nous rende toujours attentifs à la voix de l’Esprit » (Collecte)

Cette prière, prononcée au début de la Messe, nous appelle à une attitude fondamentale : l’écoute de l’Esprit Saint, qui vivifie l’Église et l’anime. Par sa force créatrice et rénovatrice, l’Esprit soutient toujours l’espérance du Peuple de Dieu en marche dans l’histoire, et soutient toujours, comme Paraclet, le témoignage des chrétiens. En ce moment, nous tous, avec les nouveaux Cardinaux, nous voulons écouter la voix de l’Esprit qui parle à travers les Écritures proclamées.

Dans la première Lecture a résonné l’appel du Seigneur à son peuple : « Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint » (Lv 19, 2). Et Jésus dans l’Évangile rappelle : « Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 48). Ces paroles nous interpellent tous, disciples du Seigneur ; et aujourd’hui, elles sont adressées spécialement à moi et à vous, chers frères Cardinaux, d’une manière particulière à vous qui êtes entrés hier dans le Collège cardinalice. Imiter la sainteté et la perfection de Dieu peut sembler un but inaccessible. Cependant, la première Lecture et l’Évangile suggèrent des exemples concrets afin que le comportement de Dieu devienne la règle de notre agir. Mais rappelons-nous tous, rappelons-nous que sans l’Esprit Saint, notre effort serait vain ! La sainteté chrétienne n’est pas avant tout notre œuvre, mais elle est le fruit de la docilité – voulue et cultivée – à l’Esprit de Dieu trois fois Saint.

Le Lévitique dit : « Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur… Tu ne te vengeras pas et tu ne garderas pas de rancune… mais tu aimeras ton prochain… » (19, 17-18). Ces attitudes naissent de la sainteté de Dieu. Nous au contraire habituellement nous sommes si différents, si égoïstes et orgueilleux… pourtant la bonté et la beauté de Dieu nous attirent, et l’Esprit Saint peut nous purifier, il peut nous transformer, il peut nous modeler jour après jour. Faire ce travail de conversion, conversion du cœur, conversion que nous tous –spécialement vous Cardinaux, et moi – nous devons faire. Conversion !

Dans l’Évangile, Jésus aussi nous parle de la sainteté et nous explique la loi nouvelle, la sienne. Il le fait au moyen de quelques antithèses entre la justice imparfaite des scribes et des pharisiens et la justice supérieure du Royaume de Dieu. La première antithèse du passage d’aujourd’hui concerne la vengeance. « Vous avez appris qu’il a été dit : “Œil pour œil, dent pour dent”. Eh bien ! moi, je vous dis : … si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre » (Mt 5, 38-39). Non seulement nous ne devons pas rendre à l’autre le mal qu’il nous a fait, mais nous devons nous efforcer de faire le bien avec largesse.

La seconde antithèse fait référence aux ennemis : « Vous avez appris qu’il a été dit : “Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi”. Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent » (v. 43-44). À celui qui veut le suivre, Jésus demande d’aimer celui que ne le mérite pas, sans contrepartie, pour combler les vides d’amour qu’il y a dans les cœurs, dans les relations humaines, dans les familles, dans les communautés et dans le monde. Frères Cardinaux, Jésus n’est pas venu pour nous enseigner les bonnes manières, des manières de salon ! Pour cela il n’y avait pas besoin qu’il descende du ciel et meure sur la Croix. Le Christ est venu pour nous sauver, pour nous montrer le chemin, l’unique chemin de sortie des sables mouvants du péché, et ce chemin de sainteté c’est la miséricorde, chemin qu’il a fait et qu’il fait avec nous chaque jour. Être saints n’est pas un luxe, c’est nécessaire pour le salut du monde. C’est ce que le Seigneur nous demande.

Chers frères Cardinaux, le Seigneur Jésus et notre Mère l’Église nous demandent de témoigner avec beaucoup de zèle et d’ardeur de ces attitudes de sainteté. La sainteté d’un Cardinal consiste vraiment en ce supplément d’oblativité gratuite. Par conséquent, aimons ceux qui nous sont hostiles ; bénissons celui qui dit du mal de nous ; saluons d’un sourire celui qui peut-être ne le mérite pas ; n’aspirons pas à nous faire valoir, mais opposons la douceur à la tyrannie ; oublions les humiliations subies. Laissons-nous toujours guider par l’Esprit du Christ, qui s’est sacrifié lui-même sur la croix, pour que nous puissions être des “canaux” par lesquels s’écoule sa charité. C’est l’attitude, ce doit être la conduite d’un Cardinal. Le Cardinal – je le dis spécialement à vous ‑ entre dans l’Église de Rome, frères, il n’entre pas dans une cour. Tous évitons et entraidons-nous pour éviter des habitudes et des comportements de cour : intrigues, bavardages, cercles, favoritismes, préférences. Que notre langage soit celui de l’Évangile : “oui, oui; non, non”; nos attitudes celles des Béatitudes, et notre route celle de la sainteté. Prions de nouveau : « Que ton aide, Père miséricordieux, nous rende toujours attentifs à la voix de l’Esprit ».

L’Esprit Saint nous parle aujourd’hui aussi à travers les paroles de saint Paul : « Vous êtes le temple de Dieu… le temple de Dieu est sacré, et ce temple c’est vous » (1 Co 3, 16-17). Dans ce temple, que nous sommes, se célèbre une liturgie existentielle : celle de la bonté, du pardon, du service, en un mot, la liturgie de l’amour. Notre temple est comme profané si nous négligeons nos devoirs envers le prochain. Quand dans notre cœur le plus petit de nos frères trouve place, c’est Dieu lui-même qui y trouve place. Quand ce frère est laissé dehors, c’est Dieu lui-même qui n’est pas accueilli. Un cœur vide d’amour est comme une église désaffectée, soustraite au service divin et destinée à un autre.

Chers frères Cardinaux, restons unis dans le Christ et entre nous ! Je vous demande de me demeurer proche, par la prière, le conseil, la collaboration. Et vous tous, évêques, prêtres, diacres, personnes consacrées et laïcs, unissez-vous dans l’invocation de l’Esprit Saint, afin que le Collège des Cardinaux soit toujours plus ardent de charité pastorale, davantage rempli de sainteté, pour servir l’Évangile et aider l’Église à rayonner l’amour du Christ dans le monde.

FÊTE DE LA PRÉSENTATION DU SEIGNEUR

XVIIIe JOURNÉE DE LA VIE CONSACRÉE

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Basilique vaticane


La fête de la présentation de Jésus au Temple est appelée également la fête de la rencontre : dans la liturgie, au début, il est dit que Jésus va à la rencontre de son Peuple, c’est la rencontre entre Jésus et son peuple ; quand Marie et Joseph amenèrent leur enfant au Temple de Jérusalem, eut lieu la première rencontre entre Jésus et son peuple, représenté par les deux vieillards Syméon et Anne.

Ce fut aussi une rencontre au sein de l’histoire du peuple, une rencontre entre les jeunes et les personnes âgées: les jeunes étaient Marie et Joseph, avec leur nouveau-né; et les personnes âgées étaient Syméon et Anne, deux personnages qui fréquentaient toujours le Temple.

Observons ce que l’évangéliste Luc nous dit à leur propos, comment il les décrit. A propos de la Vierge et de saint Joseph, il répète à quatre reprises qu’ils voulaient faire ce qui était prescrit par la Loi du Seigneur (cf. Lc 2, 22.23.24.27). On saisit, on perçoit presque que les parents de Jésus ont la joie d’observer les préceptes de Dieu, oui, la joie de marcher dans la Loi du Seigneur! Ce sont deux nouveaux époux, ils viennent d’avoir leur enfant, et ils sont entièrement animés du désir d’accomplir ce qui est prescrit. Cela n’est pas un fait extérieur, ce n’est pas pour se sentir en règle, non ! C’est un désir fort, profond, plein de joie. C’est ce que dit le Psaume : « Dans la voie de ton témoignage j’ai ma joie ». Ta loi fait mes délices (119, 14.77).

Et que dit saint Luc à propos des personnes âgées ? Il souligne plus d’une fois qu’elles étaient guidées par le Saint-Esprit. Il affirme à propos de Syméon que c’était un homme juste et pieux, qui attendait la consolation d’Israël, et que «l’Esprit Saint reposait sur lui» (2, 25) ; il dit que « l’Esprit Saint l’avait averti » qu’avant de mourir il aurait vu le Christ, le Messie (v. 26) ; et enfin qu’il se rendit au Temple « poussé par l’Esprit » (v. 27). À propos d’Anne, il dit ensuite que c’était une « prophétesse » (v. 36), c’est-à-dire inspirée par Dieu ; et qu’elle était toujours dans le Temple « servant Dieu dans le jeûne et la prière » (v. 37). En somme, ces deux personnes âgées sont pleines de vie ! Elles sont pleines de vie, car elles sont animées par le Saint-Esprit, dociles à son action, sensibles à ses appels.

Et voilà la rencontre entre la Sainte Famille et ces deux représentants du peuple saint de Dieu. Au centre se trouve Jésus. C’est Lui qui anime tout, qui attire les uns et les autres au Temple, qui est la maison de son Père.

C’est une rencontre entre les jeunes pleins de joie dans l’observation de la Loi du Seigneur et les personnes âgées pleines de joie en raison de l’action du Saint-Esprit. C’est une rencontre particulière entre observance et prophétie, où les jeunes sont les observants et les personnes âgées sont les prophètes. En réalité, si nous réfléchissons bien, l’observance de la Loi est animée par l’Esprit lui-même, et la prophétie a lieu sur la route tracée par la Loi. Qui plus que Marie est emplie du Saint-Esprit ? Qui plus qu’elle est docile à son action ?

À la lumière de cette scène évangélique considérons la vie consacrée comme une rencontre avec le Christ : c’est Lui qui vient à nous, conduit par Marie et Joseph, et c’est nous qui allons vers Lui, guidés par le Saint-Esprit. Mais au centre, il y a Lui. C’est Lui qui anime tout, Lui qui nous attire au Temple, à l’Église, où nous pouvons le rencontrer, le reconnaître, l’accueillir, l’embrasser.

Jésus vient à notre rencontre dans l’Église à travers le charisme fondamental d’un Institut : il est beau de penser ainsi à notre vocation ! Notre rencontre avec le Christ a pris sa forme dans l’Église à travers le charisme de l’un de ses témoins, homme ou femme. Cela nous étonne toujours et nous fait rendre grâces.

Et dans la vie consacrée aussi on vit la rencontre entre les jeunes et les personnes âgées, entre observance et prophétie. Ne les voyons pas comme deux réalités opposées! Laissons plutôt le Saint-Esprit les animer toutes les deux, et le signe de cela est la joie : la joie d’observer, de marcher dans une règle de vie ; c’est la joie d’être guidés par l’Esprit, jamais rigides, jamais fermés, toujours ouverts à la voix de Dieu qui parle, qui ouvre, qui conduit, qui nous invite à aller vers l’horizon.

Cela fait du bien aux personnes âgées de communiquer la sagesse aux jeunes : et cela fait du bien aux jeunes de recueillir ce patrimoine d’expérience et de sagesse, et de le porter de l’avant, non pour le conserver dans un musée, mais pour le porter de l’avant en affrontant les défis que la vie nous présente, le porter de l’avant pour le bien des familles religieuses respectives et de toute l’Église.

Que la grâce de ce mystère, le mystère de la rencontre, nous illumine et nous réconforte sur notre chemin. Amen.

CÉLÉBRATION DES VÊPRES EN LA SOLENNITÉ

DE LA CONVERSION DE SAINT PAUL APÔTRE

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Basilique Saint-Paul-hors-les-Murs


« Le Christ, est-il divisé ? » (1 Co 1, 13). Le vigoureux rappel que saint Paul place au début de sa Première lettre aux Corinthiens, et qui a résonné dans la liturgie de ce soir, a été choisi par un groupe de frères chrétiens du Canada, comme piste pour notre méditation durant la Semaine de Prière de cette année.

L’Apôtre a appris avec grande tristesse que les chrétiens de Corinthe sont divisés en plusieurs factions. Il y a celui qui affirme : “Moi, je suis à Paul”; un autre dit : “ Et moi, à Apollos” ; un autre : “Et moi, à Céphas” ; et à la fin il y a aussi celui qui soutient : “Et moi, au Christ” (cf. v. 12). Pas même ceux qui entendent se référer au Christ ne peuvent être loués par Paul, parce qu’ils utilisent le nom de l’unique Sauveur pour prendre leurs distances avec d’autres frères à l’intérieur de la communauté. Autrement dit, l’expérience particulière de chacun, la référence à quelques personnes significatives de la communauté, deviennent la norme du jugement de la foi des autres.

Dans cette situation de division, Paul exhorte les chrétiens de Corinthe, « par le nom de notre Seigneur Jésus Christ », à être tous unanimes dans la façon de parler, pour qu’entre eux il n’y ait pas de divisions, mais une parfaite union d’esprit et de sentiments (cf.v. 10). La communion que l’Apôtre invoque, cependant, ne peut être le fruit de stratégies humaines. La parfaite union entre les frères, en effet, est possible seulement en référence à la pensée et aux sentiments du Christ (cf. Ph 2, 5). Ce soir, alors que nous sommes réunis ici en prière, nous sentons que le Christ, qui ne peut être divisé, veut nous attirer à lui, vers les sentiments de son cœur, vers son abandon total et confiant dans les mains du Père, vers son dépouillement radical par amour de l’humanité. Lui seul peut être le principe, la cause, le moteur de notre unité.

Tandis que nous nous trouvons en sa présence, devenons encore plus conscients que nous ne pouvons pas considérer les divisions dans l’Église comme un phénomène comme naturel, inévitable dans toute forme de vie associative. Nos divisions blessent son Corps, blessent le témoignage que nous sommes appelés à lui rendre dans le monde. Le Décret de Vatican II sur l’œcuménisme, rappelant le texte de saint Paul que nous avons médité, affirme de façon significative : « Une Église une et unique a été fondée par le Christ Seigneur, et pourtant plusieurs communions chrétiennes se présentent aux hommes comme représentant le véritable héritage de Jésus-Christ ; certes, tous confessent qu’ils sont les disciples du Seigneur, mais ils ont des opinions différentes et suivent des chemins différents, comme si le Christ lui-même était divisé ». Et puis, il ajoute : « Assurément, une telle division contredit ouvertement la volonté du Christ, et est un sujet de scandale pour le monde et une source de préjudices pour la très sainte cause de la prédication de l’Évangile à toute créature » (Unitatis redintegratio, 1). Nous tous nous avons subi des préjudices par les divisions. Nous tous nous ne voulons pas devenir un sujet de scandale. Et pour cela nous tous nous cheminons ensemble, fraternellement, sur la route vers l’unité, unis aussi en marchant, cette unité qui vient de l’Esprit Saint et qui nous apporte une singularité spéciale, que seulement l’Esprit Saint peut faire : la diversité réconciliée. Le Seigneur nous attend tous, il nous accompagne tous, il est avec nous tous sur ce chemin de l’unité.

Chers amis, le Christ ne peut être divisé! Cette certitude doit nous encourager et nous soutenir à poursuivre avec humilité et avec confiance le chemin vers le rétablissement de la pleine unité visible entre tous les croyants dans le Christ. J’aime penser en ce moment à l’œuvre de deux grands Papes : le bienheureux Jean XXIII et le bienheureux Jean-Paul II. Pour tous les deux, au cours de leur vie, a mûri la conscience de l’urgence de la cause de l’unité et, une fois élus Évêques de Rome, ils ont guidé avec détermination le troupeau catholique tout entier sur les routes de l’œcuménisme : le Pape Jean en ouvrant des voies nouvelles et auparavant presqu’impensables, le Pape Jean-Paul en proposant le dialogue œcuménique comme dimension ordinaire et incontournable de la vie de chaque Église particulière. Je leur associe aussi le Pape Paul VI, autre grand protagoniste du dialogue, dont nous rappelions justement en ces jours le cinquantième anniversaire de l’accolade historique avec le Patriarche Athénagoras de Constantinople.

L’œuvre de mes prédécesseurs a fait en sorte que la dimension du dialogue œcuménique est devenue un aspect essentiel du ministère de l’Évêque de Rome, si bien qu’aujourd’hui, on ne comprendrait pas pleinement le service pétrinien sans y inclure cette ouverture au dialogue avec tous les croyants dans le Christ. Nous pouvons dire aussi que le chemin œcuménique a permis d’approfondir la compréhension du ministère du Successeur de Pierre, et nous devons avoir confiance qu’il continuera d’agir dans ce sens aussi à l’avenir. Alors que nous regardons avec gratitude les pas que le Seigneur nous a permis d’accomplir, et sans nous cacher les difficultés que le dialogue œcuménique traverse aujourd’hui, nous demandons de pouvoir être tous revêtus des sentiments du Christ, pour pouvoir marcher vers l’unité voulue par lui. Et marcher ensemble c’est déjà faire unité !

Dans ce climat de prière pour le don de l’unité, je voudrais adresser mes salutations cordiales et fraternelles à Son Éminence le Métropolite Gennadios, représentant du Patriarcat œcuménique, à Sa Grâce David Moxon, représentant à Rome de l’Archevêque de Canterbury, et à tous les représentants des différentes Églises et Communautés ecclésiales, réunies ici ce soir. Avec ces deux frères, qui représentent tous, nous avons prié au tombeau de Paul et nous avons dit entre nous : « Prions pour qu’il nous aide sur ce chemin, sur ce chemin de l’unité, de l’amour, faisant un chemin d’unité ». L’unité ne viendra pas comme un miracle à la fin : l’unité vient dans le cheminement, c’est l’Esprit Saint qui la fait dans le cheminement. Si nous, nous ne marchons pas ensemble, si nous ne prions pas les uns pour les autres, si nous ne collaborons pas dans beaucoup de choses que nous pouvons faire ensemble dans ce monde pour le Peuple de Dieu, l’unité de viendra pas ! Elle se fait dans ce cheminement, à chaque pas, et nous ne la faisons pas nous : c’est l’Esprit Saint qui la fait, qui voit notre bonne volonté.

Chers frères et sœurs, prions le Seigneur Jésus, qui nous a rendus membres vivants de son Corps, afin qu’il nous maintienne profondément unis à lui, qu’il nous aide à dépasser nos conflits, nos divisions, nos égoïsmes ; et rappelons-nous que l’unité est toujours supérieure au conflit! Et qu’il nous aide à être unis les uns aux autres dans une unique force, celle de l’amour, que l’Esprit Saint répand dans nos cœurs (cf. Rm 5, 5). Amen.