Le mot de l'aumonier

                                              

                                                                   FETE  DE  LA  TOUSSAINT

Les saints : on ne se lasse pas de les fréquenter ! Même par leurs petits côtés, ils nous sont attachants. Le Padre Pio n’était pas toujours très tendre avec ses pénitents. Le Père Damien fumait la pipe (il est vrai pour atténuer l’odeur de la lèpre qui ravageait les Iles d’Hawaï, dans le Pacifique, où il avait été envoyé). Catherine de Sienne avait un appétit d’oiseau et cela n’a pas manqué de lui jouer quelques tours…

Que voulez-vous ? Les saints ne sont pas des anges. Ils ont leurs pesanteurs et leurs misères. Ils sont de la même pâte que nous, tout comme nous pétris de chair et de sang. « La sainteté appartient d’abord à la terre », écrivait superbement un auteur du siècle dernier, Louis Lavelle. Et il continuait : « La sainteté témoigne que la vie que nous menons ici, toute mêlée au corps, avec ses faiblesses, ses trivialités, est capable (…) d’acquérir une signification qui la dépasse, qui nous apprend non seulement à la supporter, mais à la vouloir et à l’aimer. »

Oui, les saints sont, au milieu de nous, les témoins de l’invisible. De cet invisible que tout homme porte au fond de lui et qu’il ignore la plupart du temps. Pour le dire autrement : les saints nous apportent une sorte de révélation. Ils nous révèlent Dieu et, du même coup, ils nous révèlent à nous-mêmes.

Ne nous y trompons pas pour autant : les saints ne vivent pas hors-sol ! Ils sont de plain-pied avec la réalité. Rien de ce monde ne leur est indifférent. Leur communion avec Dieu ne les sépare pas de leurs semblables : elle les met au contraire, et d’une manière indépassable, en communion avec eux. Ils n’ont pas nécessairement réponse à tout. Mais ils ont souvent le mot juste et le geste approprié. Par leur présence, ils nous apaisent, ils nous simplifient. Ils nous rassurent et il arrive aussi qu’ils nous dérangent.

Parmi eux, certains ont laissé un nom dans l’histoire. Ils ont été des fondateurs d’ordres, des théologiens, des martyrs. Ils se sont dévoués sans compter pour les autres. Ils ne sauraient pour autant éclipser les saints « de la porte d’à-côté », ainsi que les appelle joliment le pape François : les parents qui éduquent avec amour leurs enfants, les hommes et les femmes qui travaillent pour apporter le pain à la maison, les malades qui endurent l’épreuve sans se plaindre, les vieillards qui gardent le sourire… Les saints, à cet égard, nous donnent de croire encore en l’homme. Tant il est vrai qu’à voir le monde comme il va, on se demande parfois s’il n’est pas plus difficile de croire en l’homme qu’en Dieu !

« C’est le courage qui fait les saints » : j’aime beaucoup cette phrase de Louis Lavelle. De fait, les saints ont tous leur lot d’échecs, de tribulations, voire de persécutions. D’aucuns sont traînés dans la boue, rejetés par leurs proches… Or le courage qui les habite : en quoi consiste-t-il ? Quel est-il ? Rien d’autre que « la confiance dans une grâce qui vient de plus haut et qui est toujours présente », dit encore Louis Lavelle. Le courage est certes endurance, persévérance, volonté. Mais les saints nous le rappellent : il est, plus radicalement, confiance, docilité à l’amour.

N’ayons pas peur des mots : en chacun de nous comme en tout homme, il y a en puissance un saint ou un démon, en tout cas un « petit diable » ! Entre les deux, le saint et le démon, la frontière est plus mince qu’il n’y paraît. Le tout est alors de tout faire pour empêcher le saint en nous de mourir. Pas besoin pour cela de brider la nature qui est la nôtre ou de prétendre s’en évader. Il s’agit plutôt de l’évangéliser, de l’illuminer. Et d’accueillir simultanément la lumière qui brille en elle : ce que nous sommes n’est-il pas aussi un don de Dieu ?

Sur ce chemin, les saints sont nos alliés. Ils nous soutiennent. Ils nous prennent par la main. Ils ne prétendent pas se donner en exemple. Mais inciter chacun à découvrir à son tour sa vocation, là où il est. A trouver sa « propre patrie spirituelle », l’espace où il sera pleinement vivant.

Dans l’Eglise, il n’y a pas d’un côté des pécheurs et de l’autre des saints. Uniquement des hommes et des femmes qui sont engagés sur le même chemin, qui s’épaulent et qui savent tout devoir à la miséricorde du Père. Et nous sommes de cette foule innombrable qui déborde en vérité les frontières de l’Eglise visible et qui marche, courageusement et joyeusement, à la rencontre de son vrai visage, dans l’espérance du Jour où Dieu sera tout en tous.